Les Cadets de Gascogne

Les cadets de Gascogne

« Les Cadets de Gascogne »… le terme est presque devenu générique. 
A tel point qu’aujourd’hui personne ne songe à dissocier les cadets de… la Gascogne… sans se soucier pour autant des raisons de cette association.

Certes, la référence immédiate est la célèbre tirade qu’Edmond Rostand offre à Cyrano de Bergerac… « C’est nous les Cadets de Gascogne… »

Elle a ancré la dénomination, comme une marque de fabrique, dans l’esprit et dans les mœurs.

Mais comme beaucoup d’expressions qui se figent ainsi au fil du temps pour devenir communes, celle-ci comporte sa part de vérité et d’authenticité. 
Si, dans toutes les familles, il y a toujours eu un aîné et des cadets, on peut affirmer qu’en Gascogne, les cadets n’étaient pas les mêmes qu’ailleurs. Et ce, pour plusieurs raisons.

Rappelons d’abord qu’en France, au XVe siècle, on appelait aîné le premier enfant d’un couple et puîné le deuxième enfant ainsi que ceux qui suivaient. « Aîné » vient de l’ancien français « ains » qui voulait dire « avant » et « puîné » vient de « puis + né » donc celui qui est né après, en suivant.  Le fait d’être né en premier donnait à l’aîné de nombreux droits et privilèges, notamment en matière d’héritage et de succession. Il avait, ce que l’on nommait d’ailleurs : « le droit d’aînesse ».

C’est précisément par le truchement de la langue gasconne que le terme « puîné » a disparu pour être remplacé par celui de « cadet » qui vient de « capdet » voulant dire « Capitaine, chef » en gascon…

A priori, il semble n’y avoir que peu de relation entre un « capitaine » et un « second né ». Pourtant, au  XVe siècle, en Gascogne, la relation est tellement évidente qu’elle a été adoptée par le langage courant. C’est dire d’une part, l’influence que le gascon pouvait avoir sur la langue française à l’époque, et d’autre part, l’importance du phénomène pour qu’il méritât d’être à ce point, adopté par tout le royaume. 
Phénomène selon lequel les cadets des familles gasconnes étaient presque tous des capitaines d’armée au service du roi…
Il n’est cependant pas le fruit du hasard et repose sur des particularismes gascons. L’un d’eux est lié à la législation et aux coutumes de cette province, en matière d’héritage.

En effet, les pratiques successorales, en Gascogne, sont alors déterminantes pour la « vocation » de tous les puînés de la famille.

« La dure condition des puînés en Gascogne est traditionnellement attribuée à des dispositions juridiques en matière d’arrangements successoraux, aggravées, pour la plupart, à la fin du Moyen Age. En effet, il y aurait, d’une part, l’influence de l’antique coutume pyrénéenne aux franges méridionales de la Gascogne. Elle prévoit que, à chaque génération, le père de famille, pour assurer la continuité de la maison, la transmette, avec ses biens, sans partage, à un unique héritier. D’autre part, en Armagnac et en Agenais, tout particulièrement, la guerre de Cent Ans, les dévastations qu’elle a causées et la crise qui s’ensuivit auraient été l’étape décisive d’une prise de conscience : celle de la nécessité de concentrer pareillement les dispositions testamentaires pour éviter le morcellement du patrimoine, et ainsi, l’effritement de la fortune familiale. » 
Véronique Larcade - Les Cadets de Gascogne - Ed. Empreinte - 2000 -

Casque 1

Hence, succession in Gascony was determined so that only one child inherited the totality of the family estate, without division among his brothers and sisters, with an eye to protecting property.

But the notion of first-born –and consequently, that of cadet—was more complicated than that.  For, in Gascony, the aîné was not necessarily the eldest child, the “first-born” as tradition would have it in the rest of France.

The region that includes the Gers part of Gascony is at the confluence of a number of [cultural]zones with opposing practices, of different origins, and in which receiving and conserving the right [of succession]did not follow the same evolution of practices.  [The region] had to adapt to all these influences and develop its own approach and way of expressing this succession.

(…) Succession practices in the Gers part of Gascony have never dictated an order of succession, nor a hierarchy among the inheritors; thus the parents could designate any one of their children who seemed to them to be the most worthy to succeed them and perpetuate the property, the family and all that goes with it.
(…) And so, there is neither designated possession nor pre-established choice of heir; (…) This liberty often leads to the designation of a daughter as heir to the detriment of the other children and even the male children (…)

Family reproduction is a model of inequality that privileges an heir freely chosen by the parents, with the direct consequence of depriving the other offspring of their rights by limiting them to a part of the inheritance that is sometimes next to nothing.
For every designated âiné there are always one or more institutional cadets (…) This selection of an heir by the parents, and acceptance of the fact by the other children, is a generalized and accepted practice.
Christophe Jankowiak, Le notaire et la transmission successorale du patrimoine familial en Gascogne gersoise 1785 – 1805.  Doctoral thesis

This particularity concerning the transmission of inheritance –even to a daughter—has ancient origins.

This tradition could go back to Aquitanians of the first century B.C., whose blood was mixed with that of the Iberians from the other side of the Pyrenees.  We know now that the Romans were surprised by the customs of this people, whose warriors were robust, courageous and formidable.  In addition to their heritage of bravery –which the Gascon soldier would exhibit much later—these people held a certain consideration for women, who played an important role in their society.

One must certainly impute to the Aquitanians a curious custom that one finds in the little Gascon states near the Pyrenees during the Middle Ages and that endured until the seventeenth century (…): the equal rights of sons and daughters concerning their parents’ inheritance.  This equality was so total that if the eldest of the children was a girl, it was she who remained mistress of the family household, to the exclusion of the cadets.
Louis Puech, Histoire de la Gascogne.  Auch, 1914.

Casque 2

C’est ainsi que ce concept d’aîné créa des puînés qui furent contraints de quitter la demeure familiale et surtout de trouver des moyens de survivre. S’ils n’avaient pas été « choisis » pour leurs qualités de régisseurs de terres aptes à faire prospérer leur domaine familial, ils n’en possédaient pas moins d’autres valeurs qu’ils étaient forcés d’utiliser ailleurs.

Et de fait, ces puînés avaient reçu un autre héritage, non terrien celui-là : le sang de leurs aïeux. Le même qui coulait, plusieurs siècles avant eux, dans les veines des Aquitains et avait donné une âme belliqueuse à ce peuple.

Si les cadets nobles sont, de façon évidente, défavorisés, ceux des autres couches possédantes, en général, connaissent des situations tout aussi précaires. (...) le sort peu enviable des cadets est à l'origine d'un véritable mouvement d'émigration. (...) Mais la voie privilégiée d'évasion est, avant tout, l'armée, aussi bien pour les nobliaux puinés que pour les autres. Les Mémoires de Jean d'Antras reflètent ce phénomène. Il est question parmi les troupes réunies en Gascogne en 1567 de "braves jeunes gens capdets du pays (A. Communay, 1894). En fait, depuis la seconde moitié du XIIIe siècle, au moins, on ne réunit pas d'armée en France qui ne compte des compagnies entières de gens de pied originaires de Gascogne. Aux vrais Gascons, s'ajoutent d'ailleurs de faux Gascons car leur réputation aux armées ets telle que pour se faire valoir au bivouac, on imite leurs manières et on prend leur accent, en ponctuant ses phrases de « Cap de Diou ».

« On comprend, pour cette raison, l’entrain qu’ils mettaient à profiter des occasions de l’armée et de la guerre. En fait, depuis la seconde moitié du XIIIe siècle, au moins, on ne réunit pas d’armée en France, qui ne compte des compagnies entières de gens de pied, originaires de la Gascogne. Les « Mémoires » du Chevalier Jean d’Antras, qui s’intitulent « le capdet sans reproche » le reflètent. »

Pour trouver fortune, l’épée à leur flanc et le courage en étendard, ils partaient sur les champs de bataille, devenant partout où ils passaient, des soldats téméraires autant que redoutés.

«  La vocation guerrière de la Gascogne allait perdurer (…) dans un enrôlement militaire hors et loin de Gascogne, réservé longtemps aux puînés qui ne recevaient pas de domaines, de terres paternelles devenues trop exiguës et trop difficiles à mettre en valeur. Ces puînés furent pour le moins « capitaines » (en gascon capdets). Leur nom servit désormais à désigner un puîné dans le vocabulaire français (cadets). »
Renée Mussot-Goulard - Histoire de la Gascogne - PUF - 1996

Leur tempérament de feu et leur compétence à la guerre les firent entrer dans la légende au point d’influencer le vocabulaire de la langue française.

Ce n’est donc que justice, d’accoler aussi facilement aujourd’hui la Gascogne aux Cadets, puisqu’elle en est la mère patrie et l’instigatrice

Casque 3

Ce sont les Cadets de Gascogne
De Carbon de Castel-Jaloux :
Bretteurs et menteurs sans vergogne
Ce sont les Cadets de Gascogne !
Parlant blason, lambel, bastogne,
Tous plus nobles que les filous,
Ce sont les Cadets de Gascogne
De Carbon de Castel-Jaloux.

Oeil d'aigle, jambe de cigogne,
Moustache de chat, dents de loup,
Fendant la canaille qui grogne,
Oeil d'aigle, jambe de cigogne,
Ils vont, coiffés d'un vieux vigogne
Dont la plume cache les trous !
Oeil d'aigle, jambe de cigogne,
Moustache de chat, dents de loup !

Perce-Bedaine et Casse-Trogne
Sont leurs sobriquets les plus doux ;
De gloire, leur âme est ivrogne !
Perce-Bedaine et Casse-Trogne,
Dans tous les endroits où l'on cogne
Ils se donnent des rendes-vous...
Perce-Bedaine et Casse-Trogne
Sont leurs sobriquets les plus doux !

Voici les Cadets de Gascogne
Qui font cocus tous les jaloux !
O Femme, adorable carogne,
Voici les Cadets de Gascogne ! 
Que le vil époux se renfrogne :
Sonnez, clairons ! chantez, coucous !
Voici les Cadets de Gascogne
Qui font cocus tous les jaloux !

(Cyrano de Bergerac - Edmond Rostand)

Fichier audio
Écoutez la tirade des Cadets de Gascogne