Escarmouches - Les Gardes du Cardinal et les Mousquetaires du Roi

La co-existence de ces deux compagnies d’élite au sein de l’Etat, l’une dévolue au Roi et l’autre à son ministre, ne s’est pas faite sans heurt et c’est bien la raison pour laquelle Alexandre Dumas a pu user de leurs rivalités comme un des éléments essentiels de son roman.

Il faut encore rappeler que les « Mousquetaires du Roi », tous à cheval et gentilshommes les plus qualifiés, n'avaient aucune raison de rivaliser - et ne se seraient certainement pas commis - avec les mousquetaires du Cardinal, modestes fantassins recrutés dans la plèbe errante des militaires de profession du temps.

Comme on peut le voir dans la composition de la compagnie des Gardes de Richelieu, celle-ci comprenait :
• Une compagnie de chevau-légers de 120 hommes,
• Une compagnie de 100 hommes d'armes dits "gens d'armes" qu'on écrit aussi "gendarmes",
• Une de 100 mousquetaires à pied, portée ensuite, semble-t-il, occasionnellement à 200, soit 420 hommes en tout.
Richelieu fait d’ailleurs passer sa garde à cheval avant ses mousquetaires et ne donne même le nom de "Gardes" qu'à ses seuls cavaliers.

De l’autre côté, celui du Roi, on présente la Compagnie dans un Etat de la France dressé en 1642 comme : 
"La compagnie des mousquetons du Roi ; Elle a pour capitaine le Roi, et pour lieutenant M. de Tréville, et pour soldats des enfants des meilleures familles de France, portant une casaque bleue et distinguée par des croix d'argent. Ils sont 150, qui suivent le Roy partout, même quand il va à la chasse."

La rivalité a été entre les Mousquetaires cavaliers du Roi, tous gentilshommes, et les Gardes à cheval de Richelieu, également tous gentilshommes.

Le recrutement dans ces deux corps d’élite différait.

Richelieu veut qu'on lui soit présenté par quelqu'un de connu et de sûr, qu'on ait plus de vingt-cinq ans et autant que possible qu'on ait servi trois ans aux armées, condition qui n'est pas exigée s'il s'agit d'un gentilhomme de très bonne maison. 

Pour sa compagnie de ses gendarmes, le Cardinal paraît ne vouloir accepter comme officiers que des Bretons.

« Le recrutement des mousquetaires devenait de plus en plus régional, voire familial : Montalan, Troisvilles engageaient tous ceux qui, entre Orthez, Pau, Tarbes et Auch, s’étaient illustrés dans un duel spectaculaire. » 
Arnaud Jacomet

L’autre immense différence entre les deux compagnies était la solde.

Richelieu entretient ses Gardes à ses frais et ne semble pas compter à la dépense. En face, les Mousquetaires du Roi ne sont pas aussi bien traités.

« Dans la maison de Richelieu, les soldes sont réglées très exactement. Comme il est loin d'en être de même dans le reste de l'armée du Roi, par suite des perpétuelles difficultés d'argent de l'Etat, et que l'on y attend souvent longtemps pour être payé, voire même parfois, ne reçoit-on rien du tout, les pamphlétaires ennemis de Richelieu ont eu beau jeu pour attaquer à cet égard le Cardinal. » 
Louis Batifol

Richelieu est très exigeant envers la tenue de ses Gardes qu’ils souhaitent même ériger en modèle pour les autres corps de l’armée.

Comme les Mousquetaires du Roi, les Gardes du Cardinal ont un uniforme.

« L'habit ordinaire que les gens portent sous Louis XIII se compose essentiellement d'un pourpoint, sorte de veste ajustée et fermée allant du cou à la ceinture, au-dessous de laquelle elle peut se prolonger par des basques plus ou moins longues; puis de hauts-de-chausses, culottes amples, descendant jusques au-dessous des genoux. Il faut ajouter les bottes et, sur la tête, un feutre ou castor à larges bords orné d'un panache.
A la ville, les gens de bon ton mettent par-dessus leur habit un manteau, vêtement sans manches, tenu sur les épaules par des agrafes et descendant aux genoux. L'hiver, ce manteau peut être doublé de fourrures avec passepoils débordants; il s'ajuste avec des manches à revers fourrés et il s'appelle alors "la hongreline". 
Les gardes à cheval du Cardinal en tenue n'ont pas le manteau à proprement dit, mais un vêtement analogue, uniforme, qui les fait tout de suite reconnaître de loin et qu'on appelle "la casaque". C'est une sorte de manteau sans manches, court, c'est-à-dire ne descendant pas trop au-dessous de la ceinture et formé de quatre pièces d'étoffe réunies au cou par la partie supérieure. La première de ces pièces couvre le devant de la poitrine, la seconde la surface du dos, les deux dernières tombent des épaules et s'évasent en trapèze. Ces quatre pièces sont flottantes et séparées, mais peuvent se réunir en se boutonnant les unes aux autres, constituant ainsi une manière de vaste pèlerine fermée. 
Ce qui fait reconnaître de loin les Gardes de Richelieu, c'est que leur casaque est rouge et que, bordée de galon blanc, elle porte sur chacune des quatre pièces, au milieu, une croix grecque également en galon blanc très voyante. On devine, avec le grand feutre à panache blanc et les bottes, l'aspect brillant que peut présenter le défilé de la compagnie à cheval de Son Eminence. 
Les pamphlétaires ne manqueront pas de se moquer d'ailleurs, dans leurs écrits contre le Cardinal, de cette casaque de ses gardes à laquelle ils donneront, par dérision, le nom d'un vêtement du même genre espagnol de cette époque qu'on appelle la "roupille".
Le rouge, c'est-à-dire "la couleur du feu",  "l'écarlate", "l'incarnat" est par ailleurs la couleur de la livrée de Richelieu. Ses pages ont un pourpoint et des hauts-de-chausse rouges.» 
Louis Batifol

En revanche, les Mousquetaires du Roi devaient s’acheter leur uniforme avec leur solde qui était bien plus maigre que celle des Gardes.

Enfin, les Mousquetaires reprochent aux Gardes d’être davantage des soldats de représentation ou d’antichambre que de champs de bataille, alors qu’eux se retrouvent sur tous les fronts, aux combats à côté du Roi.

" Les Capitaines et les soldats du Roi (qui font durement la guerre dans les tranchées) dit l'un d'eux, sont au désespoir de se voir réduits à l'aumône, lorsque les Gardes (du cardinal) qui sont toujours à l'ombre d'une salle, reçoivent de bonnes monstres (la solde) et bien réglées, pour être en faction à la porte d'une chambre"  
(dans la très humble, très véritable et très importante Remontrance au Roy, 1631, dans M. de Morgues, Diverses pièces pour la défense de la Reine mère, 1636)

La rivalité entre les deux compagnies les poussait donc à se provoquer facilement et en venir à des duels, fréquents bien qu’interdits, pour lesquels ni le Roi, ni le Cardinal, n’aient cherché à intervenir, trop heureux de voir leurs corps d’élite s’affronter et donc se mesurer.

« La Compagnie des Mousquetaires était très belle et le Cardinal de Richelieu avait une Compagnie de Gardes composée aussi de très braves gens qu’il avait choisis lui-même.
Fiers de la puissance de ce Ministre, ils se croyaient en parité avec les Mousquetaires, ce qui occasionnait de fréquents combats entre ces deux corps. 
Louis XIII, qui se dissimulait cette audace, se contenter seulement de marquer sa joie lorsque, dans ces combats, les Gardes du Cardinal avaient eu du désavantage, et ce Ministre impérieux s’applaudissait à son tour lorsqu’il apprenait que les Mousquetaires avaient succombé. Il fit plusieurs tentatives pour engager le Roi à casser cette Compagnie, mais elles ne lui réussirent pas. »
« Les deux troupes faisaient assaut de réputation entre elles et ne cessaient d’en découdre pour prouver qu’elles se piquaient à juste titre d’avoir des gens dont le courage l’emportait sur tous les autres. Si les Gardes venaient à croiser des Mousquetaires au hasard d’une flânerie, ils convenaient aussitôt du lieu de la rencontre et se mettaient, au besoin, en quête de compagnons disponibles afin que chacun ait un partenaire ! Chaque jour le Cardinal vantait la bravoure de ses Gardes et le Roi essayait de les rabaisser en invoquant les exploits de ses Gascons. » 
Arnaud Jacomet

Ces escarmouches entrent les deux troupes sont également nourries par la haine que se portent les deux hommes qui les dirigent au plus près. Richelieu d’un côté et Tréville de l’autre qui, en tant que Lieutenant Capitaine, est le commandant des Mousquetaires. Le caractère indomptable et impétueux de Tréville, sa bravoure et son dévouement sans borne au Roi, en font un personnage difficile à asservir. De plus, ses Mousquetaires lui sont fidèles et, malgré la réputation des Gardes, plus renommés que ces derniers. Et Tréville est tolérant envers ses jeunes soldats qu’ils ne réprimandent pas malgré leurs fréquentes incartades.