Courtilz de Sandras (1644-1712) et les mémoires de M. D’Artagnan

Courtilz de Sandras est le premier à s’intéresser à la vie de d’Artagnan, qu’il a connu, et lui consacre 3 volumes de mémoires apocryphes.

Sans lui, Dumas n’aurait pas écrit « Les Trois Mousquetaires ».

Et pourtant, cet écrivain du XVIIe siècle a passé sa vie dans l’anonymat en publiant la plus grande partie de ses ouvrages illégalement, en Hollande. De ce fait, on le connaît peu. On lui a attribué des œuvres qu’il n’a jamais écrites et on lui en a refusé d’autres qu’ils avaient rédigées.

Il faisait partie de ces écrivains « libres », en marge de leur époque, mélangeant les genres, et se spécialisant peu à peu dans le récit historique de faits réels teintés de fiction.

La critique a toujours été dure à son égard, d’autant plus qu’il agissait en dehors des filières classiques.

On peut ainsi lire sur lui, des témoignages particulièrement virulents.

Par exemple :

Bayle : « C’est un homme qui veut se faire lire, et qui, pour en mieux donner à garder, parle des choses comme témoin oculaire, quoiqu’il n’ait bougé dans sa chambre. »

Voltaire : « On ne place ici son nom que pour avertir les Français et surtout les étrangers combien ils doivent se défier de tous ces faux mémoires imprimés en Hollande. Courtilz fut un des plus coupables écrivains de ce genre. Il inonda l’Europe de fictions, sous le nom d’histoires. Il était bien honteux qu’un capitaine du régiment de Champagne allât en Hollande vendre des mensonges aux libraires. Lui et ses imitateurs, qui ont écrit tant de libelles contre leur propre patrie, contre de bons princes qui dédaignent de se venger, et contre des citoyens qui ne le peuvent, ont mérité l’exécration publique. »

Jean de Bernières : «  Assez triste personnage au demeurant, éhonté et vénal, qui, au besoin, réfutait lui-même ses propres calomnies ; soldat infidèle au drapeau et sujet rebelle de son prince ; retiré en Hollande pour diffamer sa patrie plus à l’aise, renvoyé en France pour avoir abusé de l’hospitalité étrangère ; toujours ingrat envers quelqu’un, toujours fugitif quelque part, jusqu’à ce qu’enfin la Bastille, dont il s’était vanté de divulguer les secrets, fermât sur lui ses portes et le réduisait à un long silence. Il semble qu’il ne faille guère prêter de crédit à ce qui est tombé de sa plume. Il a voulu exciter et satisfaire les curiosités mauvaises. En se faisant des Mémoires apocryphes une spécialité, Sandras a abaissé, à n’être plus que spéculation condamnable, un genre littéraire qui doit être attrayant, sans mensonge et piquant sans scandale. »

Quelqu’un de peu recommandable en quelque sorte. Mais est-ce la vérité ?

Qui était réellement Courtilz de Sandras ?

Quelle est la position de cet homme, entre réalité et fiction, qui écrit l’histoire sous forme de roman ?

Que doit-on retenir de ses « Mémoires de M. d’Artagnan », qui seront destinées à être revues et corrigées par Alexandre Dumas pour en faire le succès que l’on connaît ?

Sa vie

Gatien Courtilz de Sandras nait en 1644, probablement à Paris, de Messire Jean de Courtilz, chevalier, seigneur de Tourly, et de Dame Marie de Sandras. Il est issu d’une longue lignée aristocratique. Ses parents, bien que certainement peu fortunés, sont entourés d’une famille de quelque notoriété et lui font donner une éducation correcte dont il saura tirer le meilleur partie.

S’il manifeste assez tôt un goût pour les Lettres, il va suivre la voie de tous les jeunes hommes de son époque, celle de l’armée. 

Il doit y entrer en 1660,  car il écrit lui-même en parlant de Louis XIV : « Depuis que j’ai quinze ans passés, moi qui parle, je n’ai pas discontinué de servir dans ses armées… ». Ceci correspond d’ailleurs à l’âge moyen vers lequel les jeunes gens s’engageaient.

Sa famille le fait entrer à la Première Compagnie des Mousquetaires, ce qui signifie qu’elle devait avoir des relations tant ce corps était réputé et recherché. Il est donc Mousquetaire dans la Compagnie officiellement dirigée par le Duc de Nevers mais dont d’Artagnan en est déjà le vrai commandant.

En 1667, il entre au Régiment Royal Etranger, dans la cavalerie, en tant que cornette, soit donc l’officier chargé de porter l’étendard de sa Compagnie et il participe, sous les ordres de Turenne, à la campagne des Flandres.

Ce régiment étant réformé à la fin de cette campagne, Courtilz de Sandras reprend la vie civile pratiquement pendant quatre années.

Il partage alors son temps entre Paris et Tourly qui appartient à son cousin, et dans ces deux lieux a des fréquentations qui peuvent largement lui avoir donner matière à ses écrits futurs.

Entre-temps, il s’est marié, sans doute en 1664 avec Marie Despied et a eu un fils et une fille. Malheureusement son épouse meurt en 1671 et il est veuf à l’âge de 27 ans.

En, 1672, Courtilz repart en guerre et obtient une Compagnie dans le Régiment de Beaupré-Choiseuil. Il est Capitaine de Cavalerie. Il n’est pas certain qu’il participe à la guerre avec la Hollande, mais il se trouve certainement mêlé aux opérations militaires en Catalogne, en 1675, puis en Alsace et à nouveau dans le Roussillon.

Sa carrière militaire se termine en 1679, probablement lors de la dissolution de nombreux corps d’armée, intervenue cette même année. Il a 35 ans.

« Il avait déjà préparé, depuis un certain temps, ce qu’on appellerait sa reconversion à la vie civile : il s’était remarié, et il était entré, par quelques publications, dans la carrière littéraire. » Jean Lombard

En effet, en 1678, il a épousé Louise Panetier, une assez riche bourgeoise, ce qui semble bien arranger ses affaires car il est alors endetté. On ne sait pas si c’est aussi ce besoin d’argent qui le fait commencer à écrire, mais ses quatre premiers livres sont publiés à cette même époque.

Il s’agit de « Relation de ce qui s’est passé en Catalogne », « Nouvelles amoureuses et galantes », « Nouveau recueil de lettres et de billets galants avec leurs réponses sur divers sujets » et « Relation de ce qui s’est passé en Flandre et en Allemagne ».
Courtilz publie officiellement et bénéficie alors de l’appui intéressant et généreux de Monsieur de Bezons, Conseiller d’Etat.

Et puis, il se consacre à l’aventure littéraire, de manière clandestine.

Il partage sa vie entre Paris et la Hollande où la plupart de ses livres sont publiés chez des éditeurs supposés, comme cela était le cas pour toute la littérature interdite en France.

Il écrit des chroniques scandaleuses aussi bien que des ouvrages à caractère politique. En 1685,  il commence à se diriger vers une nouvelle voie, la biographie de personnages connus, avec la « Vie du Vicomte de Turenne ». Cette orientation sera sa « veine de prédilection ».

Pendant quelques années, on suit sa trace entre différents lieux de résidence, peut-être même à travers plusieurs pays européens. Il semble qu’il se soit aussi établi à Sedan qui servait de plaque tournante pour le transport de livres interdits, tous imprimés en Hollande.

Évidemment, tous ses livres font l’objet de saisie.

Il se lance également dans le « journalisme », à la fin de 1686, en fondant le Mercure historique et politique.

En 1689, il fait l’acquisition d’une propriété terrienne appelé « Le Verger », située près de Montargis, qui s’ajoute aux différentes résidences qu’il fréquente.

Il n’est pas encore directement ennuyé pour ses activités littéraires clandestines mais il intervient régulièrement, auprès de ses relations qui semblent assez bien placées, pour aider des amis libraires accusés de débiter des livres défendus.

Courtilz de Sandras prend cependant des risques car il a alors l’intention de publier une grande œuvre sur la vie du Monarque qui devait s’intituler « La vie de Louis XIV, Roi de France et de Navarre, dit Dieudonné et le Grand », et dans laquelle il souhaite dire toute la vérité, comme il l’indique dans un début de préface :
« Je ne crains point qu’on dise que je me suis laissé gagner, comme il arrive à la plupart des écrivains de notre siècle, et, en effet, leur donnerait-on des pensions s’ils ne savaient flatter comme il faut ? C’est le prix dont on les récompense de l’encens qu’ils prodiguent en toutes rencontres ; mais je trouve que c’est de l’argent bien mal employé que celui-là, car ne se trouve-t-il pas d’autres gens qui écrivent dans leur cabinet et qui, ne travaillant que pour leur réputation, sont incapables de se laisser corrompre ? J’espère ainsi, quoique je n’aie pas par devers moi des ouvrages qui m’aient frayé le chemin à une estime générale, qu’on fera bien autant de cas de cette histoire que de celle que nous donneront un jour Boileau et Racine. Ce n’est pas que je veuille attaquer leur capacité, et le choix que le Roi en a fait est comme une preuve assurée de leur mérite, mais ce que je veux dire, c’est que ce qu’ils nous donneront doit être bien suspect, puisque ce qu’ils font est porté à Versailles cahier à cahier et qu’ils ne sauraient répondre de sa destinée s’il n’a passé auparavant par l’étamine. Cependant, c’est le Roi lui-même qui en est le correcteur, d’où l’on peut juger ce que l’on doit attendre d’un tel ouvrage… »

Cette œuvre imposante et dangereuse ne sera pas menée à terme.

Il pratique aussi un genre d’écriture particulier en ce sens qu’il est capable d’écrire, en suivant, un livre et sa réfutation, sans doute d’ailleurs à des fins de rendement économique. C’est assez troublant quand on cherche à mieux connaître l’écrivain, d’autant que tous ses écrits n’étaient pas nécessairement signés de son nom.

Courtilz avait manifestement besoin d’argent. D’un côté, il a installé sa femme et sa nombreuse progéniture au Verger ; s’il semble s’intéresser sincèrement à eux et se préoccuper de sa vie familiale, c’est sa femme qui supervise le domaine agricole. De l’autre il gagne sa vie grâce à des emplois plus atypiques. Le dur métier d’écrivain clandestin n’est pas son unique activité, car il fait aussi partie ce que l’on appelle alors des « donneurs d’avis ».

Il l’écrit lui-même dans ses « Mémoires de Mr. d’Artagnan » :
« Il y avait des gens à la Cour qui ne subsistaient que de cela, et même qui en subsistaient si grassement qu’il ne savait pas comment cela ne donnait point envie aux autres de les imiter ».

Comme l’explique Jean Lombard :
« Les gagne-petit de cette industrie se contentaient d’indiquer par exemple à un ami, moyennant récompense, que telle charge avait des chances d’être bientôt vacante ; mais ceux qui étaient pourvus d’un esprit plus audacieux travaillaient, si l’on peut dire, au plan national, en proposant au roi la création et l’exploitation de charges nouvelles ; dans ce cas, pour avoir l’oreille du ministre Pontchartrain, les intermédiaires privilégiés étaient des financiers et des Dames de la Cour. »

Ceci ne lui rapporte certainement pas ce qu’il en escompte car il est dans la grande disette en 1693.

C’est avec la littérature qu’il gagne le mieux de quoi vivre et il ne manque pas de projets sur des sujets très variés. Hélas, même si ce qu’il écrit n’est pas réellement subversif, il est arrêté cette même année 93.

«  Du point de vue des autorités, la faute ne réside par seulement dans la substance des écrits, mais aussi dans les circonstances de publication : il est illégal de faire imprimer une œuvre sans privilège, plus répréhensible encore de s’adresser pour cela aux libraires hollandais, et tout-à-fait impardonnable de s’occuper de l’introduction en France et de la diffusion de tels livres. » Jean Lombard.

Courtilz est emprisonné à la Bastille « dans la première chambre de la Tour de la Chapelle » et son sort dépend du Gouverneur des lieux. D’après ses écrits, il n’apprécie pas du tout le Sieur de Besmaux, gouverneur jusqu’en 1698 auquel il reproche de s’enrichir au dépend des prisonniers. Il connaît également Monsieur de Saint-Mars qui succède à Besmaux.

Ses conditions de détention sont connus à travers ses écrits et notamment les « Mémoires de Messire J.B. de la Fontaine » mais le mélange de réalité et de fiction ne permet pas toujours de faire la part des choses.

En revanche, il est sûr que son séjour se partage en deux périodes ; une durant laquelle il est véritablement prisonnier et l’autre qui lui offre une détention « adoucie » avec l’octroi de certaines libertés. C’est ainsi qu’il le raconte :
« Il faut savoir que cette prison est remplie de deux sortes de gens, dont les uns sont entre quatre murailles, sans voir jamais personne, qu’une espèce de guichetiers, à qui l’on donne le nom de porte-clefs… et d’autres qui ont la liberté de la Cour, et qui sont enfermés à de certains heures… Tous ceux qui ont la liberté de la Cour envoient, quand ils veulent, leurs valets dans la ville, outre qu’ils voient sans témoins ceux qui les veulent venir voir. »

Au début, il n’a le droit à aucune visite, puis sa femme reçoit l’autorisation de venir le voir exceptionnellement, et ensuite à un rythme de plus en plus fréquent.

Ce qui semble incroyable est qu’il continue à écrire pendant son enfermement, et même à poursuivre son activité de journalisme, malgré les contrôles stricts auxquels il est soumis. Toujours d’après ses écrits, il existait un certain nombre d’astuces entre les prisonniers qui permettaient de communiquer entre eux et avec l’extérieur.

Il est libéré en 1699 et dans les deux années qui suivent, il publie les ouvrages suivants :
- Mémoires de Mr d’Artagnan,
- Annales de la Cour et de Paris,
- Entretiens de Mr. Colbert avec Bouin,
- Mémoires du Marquis de Montbrun,
- Mémoires de Madame la Marquise de Fresne.

De nombreux critiques littéraires ou biographes ont prétendu que Courtilz, incorrigible, avait été emprisonné une deuxième fois à la Bastille pour une durée de 9 ans.Jean

Lombard, qui a scrupuleusement étudié les archives de cette prison et d’autres documents inhérents à l’activité qui se déroulait au Verger, propriété des Courtilz, ne le pense pas, comme il le souligne :
« Il convient donc de s’en tenir aux documents, quitte à faire la part de quelques zones d’ombre. On voit alors apparaître, dans cette dernière période de la vie de Courtilz, deux pôles d’attraction : la terre du Verger, où, à l’exemple de ses ancêtres, il se livre , avec les siens,  aux différentes activités du gentilhomme campagnard, et Paris, où le ramènent invinciblement ses goûts, sa vocation d’écrivain et les obligations souvent périlleuses de l’homme de lettres clandestin. »

Il persévère cependant à publier clandestinement, malgré son séjour à la Bastille, et les mises en garde qui lui ont été faites.

Ainsi, les « Mémoires de Mr d’Artagnan » paraissent à « Cologne, chez Pierre Marteau », en 3 volumes. Il existe deux éditions ; l’une de 1700 et l’autre de 1700 pour le tome I et de 1701 pour les tomes II et III. Bien sûr, il faut traduire « Cologne » par « La Haye » et il s’agit certainement de son ancien imprimeur Henri Van Bulderen.

S’il est peut-être protégé par des relations politiques qui l’empêchent de retourner en prison, et s’il vend assez correctement ses ouvrages, il est régulièrement suivi, ses activités sont surveillées et la critique littéraire lui est franchement hostile « pour des raisons de morale ou d’esthétique littéraires ».

Bayle écrit de lui :
« …c’est un petit particulier sans bien, sans fortune, et qui apparemment n’écrit tout cela que pour le vendre aux libraires de Hollande. Il faut pourtant qu’il ait quelque habitude avec les fainéants de Paris qui lui apprennent tout ce qui s’y conte de vrai ou de faux entre les nouvellistes. On souhaiterait que dans quelque journal on décréditât les ouvrages de cet homme-là, qui infatue une infinité de liseurs… On le pourrait sans doute convaincre de fausseté sur mille faits qu’il avance. Il faut convenir qu’il en débite de fort curieux et de fort singuliers, mais quelle impudence de donner pour des mémoires de M. d’Artagnan trois volumes dont il n’y a pas une ligne faite par M. d’Artagnan… »

A partir de 1704, la production de Courtilz diminue considérablement et il se retire au Verger où il mène une existence assez aisée, d’autant que l’ensemble de ses ouvrages se vend plutôt bien. 

Il perd sa femme en 1706, après trente années d’une union sincère et harmonieuse.

Durant les années suivantes, on a peu de trace de sa vie si ce n’est qu’il public au moins un de ses anciens ouvrages légalement  : « La conduite de Mars ». Il a du également continuer à écrire car trois autres ouvrages seront publiés après sa mort.

Et puis Courtilz se remarie une troisième fois en 1711, à l’âge de 67 ans avec une bien curieuse personne. Il s’agit de la veuve du Libraire Auroy qui l’avait, autrefois, espionné et dénoncé !

Cette union dure moins d’un an car Courtilz meurt le 8 mai 1712

Son œuvre

Face à la perplexité que présente un auteur qui est resté anonyme toute sa vie et a publié clandestinement, plusieurs biographes ont tenté de faire une liste de ses œuvres en laissant de nombreuses zones de doute.

C’est certainement Jean Lombard qui a le plus scientifiquement étudié Courtilz et qui a longuement analysé les textes qui lui ont été attribués et refusés avant d’aboutir une liste de 36 ouvrages.

   Nouvelles amoureuses et galantes - (1678)
   Relation de ce qui s’est passé en Catalogne pendant les années 1674
   et 1675 - (1678)
   Relation de ce qui s’est passé en Flandre et en Allemagne pendant la campagne de 1678 jusqu’à la paix – (1679)
   Nouveau recueil de lettres et billets galants avec leurs réponses, sur divers sujets – (1680)
   La conduite de la France depuis la paix de Nimègue – (1683)
   Réponse au livre intitulé la Conduite de la France depuis la paix de Nimègue (1683)
   Mémoires contenant divers événements remarquables arrivés sous le règne de Louis le Grand, l’état où était la France lors de la mort de Louis XIII, et celui où elle est à présent – (1684)
   Histoire des promesses illusoires depuis la paix des Pyrénées – (1684)
   Les Conquêtes amoureuses du Grand Alcandre dans les Pays Bas – (1684)
   Les Intrigues amoureuses de la Cour de France – (1684)
   La conduite de Mars – (1685)
   La vie du Vicomte de Turenne – (1685)
   Les nouveaux Intérêts des Princes de l’Europe – (1685)
   Les Dames dans leur naturel ou la galanterie sans façon sous le règne du Grand Alcandre – (1686)
   Les conquêtes du Marquis de Grana dans les Pays Bas – (1686)
   Réflexions politiques par lesquelles on fait voir que la persécution des Réformés est contre les intérêts de la France – (1686)
   La vie de Gaspard de Coligny – (1686)
   Le Mercure historique et politique – (Novembre 1686 à avril 1693)
   Mémoires de Mr. L.C.D.R. – (1687)
   Histoire de la Guerre de Hollande – (1689)
   Testament politique de Messire J.B.Colbert –(1693)
   La vie de J.B. Colbert – (1695)
   L’Elite des Nouvelles de toutes les Cours de l’Europe – (1698)
   Mémoires de Messire Jean-Baptiste de La Fontaine – (1698)
   Mémoires de Mr d’Artagnan – (1700)
   Annales de la Cour et de Paris pour les années 1697 et 1698 – (1701)
   Entretien de M. Colbert, Ministre et Secrétaire d’Etat, avec Bouin, fameux partisan – (1701)
   Mémoires de Monsieur le Marquis de Montbrun – (1701)
   Mémoires de Madame la Marquise de Fresne – (1701)
   La guerre d’Italie ou Mémoires du Comte D…- (1702)
   La guerre d’Espagne, de Bavière et de Flandre ou Mémoires du Marquis D…- (1706)
   Mémoires de Mr de B…, Secrétaire de Mr L.C.D.R. – (1711)
   La Prince infortuné ou l’histoire du chevalier de Rohan – (1713)
   Histoire du Maréchal Duc de la Feuillade – (1713)
   Les aventures de la Comtesse de Strasbourg et de sa fille – (1716)
   Mémoires de Monsieur de Bordeaux – (1758)

A la lecture de cette énumération de titres, on constate que Courtilz s’est intéressé à l’histoire, qui était un genre littéraire reconnu au XVIIe siècle puis s’est peu à peu tourné vers le romanesque, anticipant ce qui sera en vogue le siècle suivant. C’est précisément ce que lui reprochent les critiques, comme Bayle par exemple :
« C’est dommage que cet homme, ayant un génie si fécond et le don d’écrire avec une facilité extraordinaire   et avec beaucoup de vivacité, n’ait point pris de mesures mieux entendues pour employer ses talents. S’il se fut bien attaché à suivre les grands modèles de l’Antiquité et les lois que tant de maîtres de l’art historique ont noblement expliquées, il aurait pu devenir un très bon historien. Mais… il romanise tous les sujets qu’il manie… Il y débite ses fictions sans aucun égard à la chronologie… »

Ou encore Niceron qui écrit que Courtilz « ne s’est jamais gêné ni pour la matière, ni pour la forme de ses ouvrages, qui ne sont que des Romans historiques, où le vrai, le faux et le merveilleux sont mêlés. »

L’orientation littéraire qu’a choisie Courtilz, qui semble déranger ceux qui ne savent pas très bien comment le classer ou le juger, est, selon Jean Lombard, intrinsèquement liée à la situation littéraire de son temps. 

La date de parution de son premier ouvrage est l’année 1678 qui constitue une date charnière pour l’étude de la littérature.

« Avec 1678 et la paix de Nimègue, c’est une autre phase de notre histoire qui s’ouvre. Et le fait est qu’en littérature également, à cette date, si des portes semblent fermées aux écrivains, des voies aussi leur sont ouvertes, surtout dans les genres pour lesquels un homme comme Courtilz est particulièrement armé. » Il faut aussi souligner que Boileau et Racine sont alors les historiographes officiels du roi.

Si cette période n’est pas très productive du point de vue du théâtre ou de la poésie (les grands auteurs du XVIIe siècle tels Corneille ou Molière appartiennent déjà au passé) la prose commence à faire son apparition.  Elle apparaît sous des formes diverses comme les biographies, les traités, les pamphlets, les récits, les mémoires et… le roman, soit donc tous les genres qui conviennent bien à Courtilz.

Le journalisme est également un mode d’écriture qui permet de s’exprimer, surtout quand il s’agit de gazettes non officielles, imprimées en Hollande et vendues à Paris. Là encore, ce genre plaît à Courtilz qui s’adonne au journalisme pendant plus de six ans avec son Mercure historique et politique.

Ce sont les mémoires qui intéressent le plus Courtilz car elles offrent une large palette de possibilités, alliant réalité et fiction en permettant à l’auteur d’écrire à la première personne. Quand les mémoires ne flattent pas le personnage invoqué, il s’agit plus justement de pamphlets et là encore, Courtilz semble parfaitement à l’aise dans le genre.

On trouve d’ailleurs, dans l’ensemble de la production littéraire de l’époque, de nombreux écrits qui jouent avec l’histoire ou  la biographie de tel ou tel personnage en insérant des éléments romanesques et le public en est friand. Les critiques se trompent même souvent et ne savent pas toujours s’ils doivent s’y fier. Ce fut par exemple le cas des « Mémoires de D.M.L.D.M. » mieux connus sous le nom de Hortense Mancini, duchesse de Mazarin et nièce du Cardinal. On les a cru véritables, puis on les a attribuées et de nombreux auteurs différents. Il en va de même pour les « Mémoires du Sieur de Pontis » dont on n’est pas complètement sûr de l’auteur si ce n’est qu’il ne s’agit pas de Pontis lui-même.

C’est donc une pratique assez en vogue qui offre des perspectives littéraires intéressantes.
« …qu’il s’agisse de nouvelles historiques ou galantes, la voie est libre, vers 1678, pour ceux qui, attirés par l’Histoire ou les aventures, sont en mesure de mettre dans leur œuvre la riche expérience de leurs lectures et plus encore de leur vie, ce qui est le cas de Courtilz de Sandras » Jean Lombard

On a reproché à Courtilz de manquer de rigueur, d’être faussaire et d’avoir la manie de l’extraordinaire. En fait, il écrivait en tissant étroitement les sources sûres avec les hypothétiques et les événements de sa vie. Il y introduisait des références prises dans des ouvrages qu’il avait étudiés et une part de romanesque ou de scandaleux, pour aboutir à des ouvrages ni tout à fait faux, ni tout à fait exacts et qui avaient leur lectorat.

« C’est ainsi que, pleinement engagé dans la vie, libre de toute illusion, sans scrupules littéraires excessifs, Courtilz de Sandras va accomplir son œuvre avec la confiance, la vitalité et l’indépendance d’esprit qui le caractérisent. Armé pour répondre aux offres que lui présentait, comme aux autres, la situation littéraire, il occupera, comme on l’a vu, tout le terrain libre, mais, attentif à l’évolution du goût de son public, c’est au roman et à ses problèmes qu’il consacrera le meilleur de son talent. » Jean Lombard

C’est en jugeant Courtilz comme un romancier et non comme un historien qu’on est le plus prêt de son œuvre et le plus impartial. Il faut aussi ajouter un détail d’importance, à savoir la part de sa propre vie qu’il mêle aux Mémoires de la vie des autres. Il fait ainsi raconter des faits à ses personnages qui lui sont réellement et directement arrivés et cela apporte un autre niveau de lecture qui peut surprendre.

« …on va vers un roman qui mettra l’accent sur l’éclatement de la personne et sur une mise en question de son identité, en rapport avec le scepticisme et le relativisme d’une époque où les certitudes les mieux établies commencent à être ébranlées. »
Jean Lombard

Enfin, Courtilz fait passer les anecdotes avant l’histoire principale et la vie de ses personnages n’est souvent que le prétexte à de nombreuses digressions. Il aime les histoires dans l’histoire qui donnent la vie à d’autres personnages fugitifs et racontent, là encore, des faits réels ou fictifs.

En revanche, malgré les reproches qui lui ont été faits à ce sujet, Courtilz est un documentaliste de son époque assez fidèle et on peut s’en remettre à ses écrits pour les événements historiques, les personnages et l’ambiance générale de son siècle. Il est observateur de la société de son temps et la dépeint avec assez d’exactitude.

La grande originalité de Courtilz réside dans le fait qu’il est passé maître des mémoires apocryphes, genre qu’il revendique, dans lequel il s’est librement exprimé et qui ne se confond pas avec la nouvelle historique ou galante.

« ...ce qui caractérise Courtilz, par opposition à tous ses contemporains, c’est le refus de traiter de façon conventionnelle les genres à la mode, le souci de conférer à la matière romanesque, sans la détruire, l’apparence de la réalité quotidienne, et l’agrément d’un style pittoresque qui révèle sa personnalité (…) la première impression qu’on éprouve quand on a lu la totalité de ses livres, c’est celle d’avoir parcouru le grand siècle sous la conduite d’un guide qui aurait ses entrées partout (…) ses héros sont des nobles qui ne mettent pas en cause les hiérarchies, et les problèmes socio-économiques ne sont pas posés dans son œuvre. Mais en donnant la première place à l’aventure de l’individu, en montrant le cheminement de destinées privées sur fond de chronique contemporaine, en pratiquant un style familier au sein d’une narration à la première personne, Courtilz figure l’avènement d’une époque où l’homme revendiquera son indépendance face aux contraintes de la société et de l’histoire. Dominant une période où les écrivains s’enfermaient souvent dans des formules sans issue, il a, principalement par sa conception des mémoires apocryphes, aidé le roman à trouver son identité. En lui donnant, particulièrement sous forme de l’autobiographie, les garanties de vérité qu’il avait d’abord recherchées dans l’histoire, il résout à sa manière le problème des rapports entre la fiction et la réalité, et pousse dans la voie de l’autonomie un genre où s’exprimera par excellence l’homme moderne.» Jean Lombard

Le plus intéressant est la place que prend son œuvre au fil du temps.

D’une part, Courtilz est largement utilisé par les écrivains de « mémoires authentiques », tel Saint Simon par exemple, qui n’hésitent pas à lui faire quelques « emprunts » ; ce qui fait dire à Boislisle que leurs Mémoires  « ne sont ni plus vrais, ni plus infaillibles que les faux et que Courtilz de Sandras parle presque uniquement de son temps et des personnages à côté desquels il a vécu ».

Par ailleurs, A. le Breton met en évidence ce que certains écrivains du XVIIIe siècle tels Lesage, Marivaux et Prévost doivent à Courtilz, et il montre comment ses mémoires apocryphes « contenaient en germe les romans-mémoires » du siècle suivant.

Et puis ce sont les auteurs « modernes » du XIXe et XXe siècle qui découvrent dans certains des personnages de Courtilz des prototypes d’aventuriers ou de héros.
Ils y trouvent l’agent secret, habile et audacieux avec Rochefort (Mémoires de M.L.C.D.R.), le bon pirate avec Gendron (Mémoires de Madame la Marquise de Fresnes) et surtout le héros de guerre et d’amour incarné par d’Artagnan.

Il faut ainsi rendre justice à Courtilz qui, le premier, a porté son attention sur d’Artagnan en lui permettant de ne pas disparaître à jamais de la grande Histoire.

Les Mémoires de Mr d’Artagnan

Les « Mémoires » paraissent donc en 1700, lorsque Courtils sort de la Bastille. Elles comprennent 1800 pages sur 3 volumes et constituent son œuvre romanesque la plus importante.

Le livre n’a pas beaucoup retenu l’attention de ses contemporains, tant du point de vue de la critique que du nombre d’éditions vendues.Il pré

sente l’histoire d’un personnage réel et connu. On y trouve, comme dans de nombreuses autres œuvres de Courtilz, une trame principale constituée par les aventures du héros, de nombreuses anecdotes périphériques, et un fond d’événements historiques.Jean Lo

mbard note que, de ce fait, de nombreux éditeurs ont jugé bon – à tort - de faire des coupes sombres dans le texte pour ôter ces faits historiques et ne garder que l’histoire du héros. Ils n’ont pas tenu compte du titre de l’ouvrage qui annonce, outre les Mémoires de Mr d’Artagnan, « quantité de choses particulières et secrètes qui se sont passées sous le siècle de Louis le Grand ». Le livre avait donc comme sujet autant la vie de d’Artagnan que l’histoire de l’époque, d’autant que les deux y sont étroitement mêlés.

Ces « Mémoires » sont parfaitement chronologiques et suivent d’Artagnan de sa naissance en Gascogne à sa mort à Maastricht tout en déroulant l’histoire de France, sans laisser beaucoup de place à l’imagination de l’auteur.

Les anecdotes sont probablement aussi authentiques mais, comme le fait souvent Courtilz, elles ne sont pas nécessairement vécues par les personnages auxquels elles sont vraiment arrivées. Il s’agit d’une vérité… transposée.

De plus, le texte comprend une part d’autobiographie de la part de l’auteur qui reste fidèle à son habitude. C’est ainsi que les vindictes envers le Gouverneur de la Bastille, Besmaux, au demeurant ami de d’Artagnan, ou envers Bussy-Rabutin, sont davantage les expressions des ressentiments de Courtilz que celles de d’Artagnan.

Courtilz introduit par ailleurs des éléments romanesques et psychologiques dans son récit qui ne manquent pas d’intérêt et qui seront repris par Alexandre Dumas et « traduits» dans un style plus enlevé.

« Ainsi, Courtilz ouvre peu à peu la voie à une vérité romanesque authentique, fondée sur la psychologie et même, exceptionnellement, sur la poésie. Mais il faut bien dire que, vers 1700, par le choix de ses héros et par la mise en place d’une trame serrée d’événements connus, il reste fortement tributaire de l’histoire. » Jean Lombard

Il faut donc lire ces « Mémoires » en gardant à l’esprit tous ces éléments.
Elles ne sont pas totalement fidèles à la vie de d’Artagnan compte tenu surtout des apports romanesques et des anecdotes diverses qui émaillent le récit, mais elles contiennent une grande part de vérité sur le personnage et sur le contexte  politiques et social de l’époque. Il ne faut pas oublier notamment que Courtilz a été mousquetaire dans la Première compagnie, au même moment où d’Artagnan s’y trouvait. Il a donc connu son personnage et partagé du temps avec lui, d’autant que la Compagnie des Mousquetaires était un petit corps d’élite très soudé.

S’il n’a pas marqué son époque, c’est pourtant le roman de Courtilz qui aura le plus de réimpressions par la suite.

« En dehors de l’œuvre célèbre d’Alexandre Dumas, ses prétendus Mémoires séduisirent Victor Hugo qui les croyaient authentiques et y appréciait en particulier l’épisode de Milady et de sa chambrière. C’est à partir des dernières années du XIXe siècle que d’Artagnan connaît un renouveau d’intérêt. En 1896, paraît à Paris, un condensé anonyme des Mémoires en 3 volumes. En 1898 et 1899, ce sont des traductions anglaises. Il y aura aussi une adaptation en allemand en 1919, et une traduction en italien en 1945. En 1928, Gérard-Gailly publie un abrégé du livre de Courtilz, donné à nouveau en 1941. Egalement en 1928, est présentée une Vie de d’Artagnan par lui-même. Le travail de Gérard-Gailly en inspire un autre du même genre, « d’après le récit de Gatien Courtilz de Sandras » paru en 1947. Raymond Demay « édite » à son tour les Mémoires de Mr d’Artagnan en 1955. G. Sigaux en fait autant en 1965 ; l’année suivante, c’est le libraire Jean de Bonnot, et, en 1979, Jean Michel Royer. Enfin, osons dire que, consécration suprême, d’Artagnan est le héros d’une bande dessinée élaborée non pas, comme on pourrait s’y attendre, d’après le roman de Dumas, mais bien d’après Courtilz intitulée D’Artagnan, la véritable vie par Liquois, d’Après les Mémoires authentiques rédigées par Courtilz de Sandras. » Jean Lombard

C’est, pour le moins, une œuvre qui n’a pas laissé indifférent, peut-être grâce à ce subtil mélange de ce qui en fait un témoignage autant qu’un roman d’aventures.

Comme le dit A. Jal, dans son Dictionnaire critique de biographie et d’histoire :
« Les Mémoires de Mr d’Artagnan sont un des nombreux ouvrages de Gatien Courtilz de Sandras, cet écrivain qui mêla toujours le roman à l’histoire, de telle sorte qu’il est difficile de faire la part de l’un et de l’autre, dans tout ce qu’il a laissé d’historique.
Quelle confiance peuvent inspirer les Mémoires de d’Artagnan ?
Assurément tout n’y est pas d’invention, l’histoire y coudoie la fiction, mais souvent elle se fausse dans son voisinage. »

Références bibliographiques

Extrait de la BD de Liquois
  • Courtilz de Sandras, Gatien – Mémoires de Mr d’Artagnan – Mercure de France – 1987
  • Gérard-Gailly, E. – édit. des Mémoires de Mr d’Artagnan – H. Jonquières – 1928
  • Le Breton, André – Un romancier oublié : G. Courtilz de Sandras – dans Revue des Deux-Mondes – 1897
  • Liquois – D’Artagnan  – Tome I et II – Les grands succès de la BD – édition PRIFO  – 1977
  • Lombard, Jean – Courtilz de Sandras et la critique du roman à la fin du Grand Siècle – PUF 1980
  • Woodbridge, B.M. – Gatien de Courtilz, sieur du Verger, Etude sur un précurseur du roman réaliste en France  – John Hopkins Press et PUF – 1925