Le roman Cape et Épée

Cape et épée : des romans bien nommés

C'est dans la première moitié du XIXe siècle qu'apparaît, en France, le Roman de Cape et d'Epée.

Genre littéraire qualifié parfois d'hybride ou de vague, il combine les caractéristiques du roman populaire, historique et d'aventure.

Comme le roman populaire, sa large diffusion en est assurée par les journaux, sous la forme de roman-feuilleton . Il touche, par ce biais, un vaste public séduit par des histoires architecturées autour de personnages bien identifiables, et rythmées par des épisodes plein de rebondissements.

Il appartient au genre « historique » car les intrigues se déroulent en général entre le XVe et le XVIIIe siècle, époque durant laquelle les différends se réglaient régulièrement par des duels. Ce type de combat est en effet essentiel au roman de cape et d'épée et il en constitue le pilier, comme son appellation le laisse supposer.

Enfin, c'est un roman d'aventures car l'action est le moteur de l'histoire, avec sa cohorte d'intrigues, de péripéties, de dangers qui rendent le récit exaltant et palpitant.


Si la parenté à d'autres genres littéraires permet de cerner le sujet, elle ne doit pas occulter la véritable originalité du roman de Cape et d'Epée, qui est aussi un genre à part entière.

Son appellation, à elle toute seule, porte tous les germes de sa spécificité.
Mais pourquoi donc ces récits ont-ils reçu le sceau générique de cape et épée ?

Ce terme est un peu mystérieux car il a perdu, au fil du temps, toute sa signification, ou plus exactement toutes ses significations. Aujourd'hui, seule l'épée paraît capable de le justifier, alors que la cape a un rôle tout aussi important à jouer dans l'appellation.

Pour en savourer tout le sens, il faut d'une part, se replonger dans l'Espagne du XVIIe siècle. C'est là que le terme apparaît pour la première fois, né de l'observation des mœurs, et notamment de celle des aristocrates.

Il est déjà important de se souvenir que l'Espagne est le pays où la rapière est née, cette épée légère et maniable capable de frapper d'estoc, c'est-à-dire avec la pointe. Pendant plusieurs siècles, les épées espagnoles, forgées dans l'excellent acier de Tolède, ont eu la réputation d'être les plus belles lames d'Europe. En se faisant légères, elles se portaient aisément à la ceinture et dotaient les nobles d'une arme accessible et efficace.

L'habit des gentilshommes espagnols, outre les pourpoints, se composait toujours de la rapière et souvent d'une cape qui enveloppait le tout. Cette dernière n'était pas que décorative car lors des affrontements, ils enroulaient généralement leur cape sur un de leur bras pour parer les coups pendant qu'ils frappaient, de l'autre bras, avec leur épée.

L'aristocrate du Siècle d'Or espagnol était fort chatouilleux sur l'honneur, dégainait facilement et se battait fréquemment en duels, de telle sorte qu'il a inspiré les auteurs de théâtre de son époque qui l'ont mis en scène avec son habit composé de la cape et de l'épée, en créant les Comedias de Capa y espada.

Le rôle de la cape était même encore plus subtil car elle ne servait pas que de bouclier lors des combats; elle permettait aussi la dissimulation, notamment celle du visage. Cette caractéristique n'a pas échappé aux auteurs de théâtre et c'est certainement avec le personnage de Don Juan qu'elle a été le mieux utilisée sur scène. En effet, le premier Don Juan est un sévillan, personnage créé par Tirso de Molina et dans sa pièce, intitulé « El burlador de Sevilla », il utilise sa cape comme objet de déguisement et de tromperie pour pouvoir abuser de son monde et surtout des femmes.

Ces nobles espagnols, vêtus de cape et d'épée, dans cette Espagne très catholique du XVIIe siècle, étaient des personnages propres à stimuler l'imagination. Le théâtre espagnol était d'ailleurs fort populaire en France au XVIIe siècle, et des auteurs comme Scarron, Corneille ou Molière se sont inspirés à leur tour de ces Comedia de Capa y espada. Voir à ce sujet, notre site www.don-juan.net

Parallèlement à son origine théâtrale espagnole, cette expression était utilisée, en France, pour désigner un noble… désargenté. On disait donc communément, d'un gentilhomme sans fortune, qu'il ne lui restait que « la cape et l'épée », soit donc les attributs (costume et arme) indissociables à sa naissance et à son éducation de noble.
« On dit figurément d'un cadet de bonne maison qui n'a point de bien qu'il n'a que la cape et l'épée. »
Dictionnaire de l'Académie française de 1694.

Comment le XIXe siècle a-t-il ensuite récupéré cette expression ?

« Si l'expression est encore employée au XIXe siècle, c'est pour son caractère pittoresque et désuet ou parce que, dans ses emplois contemporains de l'étiquette générique, elle ajoute à l'idée de pauvreté une connotation de panache qui remotive positivement la locution ancienne. » Sarah Mombert – Duels en scène N°3

Le premier à l'utiliser littéralement comme titre d'un de ses romans est Ponson du Terrail qui fait paraître en 1855 un ouvrage intitulé La cape et l'épée.

Le genre existe néanmoins avant l'appellation et tout le monde s'accorde pour en laisser la paternité à Théophile Gautier. Il est amusant de constater que, dans cet univers éminemment masculin, il donne même la primeur à une héroïne Mademoiselle de Maupin qui l'inaugure ainsi en 1835. Dix ans plus tard, Alexandre Dumas donne sa véritable impulsion à ce type de roman avec ses Trois Mousquetaires. C'est réellement le premier récit où le personnage central – d'Artagnan - crée l'archétype du héros de Cape et d'Epée. Le roman est à ce point génial qu'il instaure, à lui seul, les principaux codes de ce genre qui deviendront sa marque de fabrique.

Les auteurs jouent d'ailleurs sur les deux sens de l'appellation « Cape et Epée ».
De nombreux héros commencent leurs aventures sans le sou, petits nobles de province, gascons de préférence, qui sont bien des cadets avec seulement la cape et l'épée… et un cheval pas très fringuant… C'est le cas de d'Artagnan bien sûr, mais aussi du Capitaine Fracasse ou de Pardaillan.

L'idée du déguisement que suggère la cape est également réutilisée dans de nombreux récits. On y retrouve la notion de double ou de masque. Paul Féval par exemple, déguise Lagardère en Bossu pour arriver à ses fins. Scaramouche ou le Capitaine Fracasse sont des noms d'acteurs qui permettent aux héros cachés sous leurs masques de mener à bien leurs aventures. Tout comme Mademoiselle de Maupin se déguise en homme. Zorro enfin est tour à tour Don Diego de la Vega et le justicier masqué.

Dans tous ces romans malgré tout, du terme d'origine de Cape et Epée, l'un est resté un objet tangible alors que l'autre a surtout laissé son symbole. On a gardé à l'épée tout l'éclat lié aux duels et à ces affrontements finaux qui font souvent le dénouement de l'histoire.

On est resté plus flou sur celui de la cape. Pourtant, ils sont indissociables l'un de l'autre car la cape donne aussi le panache à son héros. Elle est élégante, elle vole dans le feu de l'action, elle dissimule, elle claque au vent. Zorro la porte comme un signe distinctif, au même titre que son masque et son épée.

Le succès de ces romans est immédiat, tant ils s'inscrivent dans la mouvance du XIXe siècle. Au milieu de la vague des romans historiques, les romans de Cape et Epée concilient l'histoire avec l'individu et donnent à ce dernier un véritable rôle héroïque, au sens même où l'entend l'esprit romantique de l'époque.

Le héros de Cape et d'Épée

Qui est-il, ce personnage qui a fait rêver tant de lecteur ? Qu'a-t-il de si particulier pour séduire autant de monde, petits et grands confondus ?

Tout d'abord, il est noble ; de petite ou de grande noblesse ou noble qui s'ignore, mais noble tout de même.

Et parce qu'il est noble, il porte une épée et sait parfaitement bien se battre avec elle.
Dans la mesure où il n'a jamais peur de relever un défi ou de défendre son honneur, il incarne les valeurs de l'aristocratie. D'ailleurs, il est souvent au service des Grands personnages du Royaume, si ce n'est le Roi ou la Reine en personne. Il amène ainsi le lecteur dans un monde attirant et sophistiqué : la Cour , les salons, les bals, les palais et les châteaux.

Pour le public dit « populaire », c'est un voyage dans un univers qui lui est étranger et qui est fait de luxe et de rêve. Il pénètre ainsi, par une fenêtre secrète, dans l'intimité de la haute société dont il découvre les mystères, les manigances, les tromperies, les vengeances aussi bien que la grandeur d'âme.

Le héros est souvent accompagné d'amis ou de compagnons d'armes, aux rôles complémentaires. Ces seconds ont des qualités (ou des défauts) qui s'harmonisent avec ceux du personnage principal, le temporisent ou le valorisent. Ils apportent aussi l'amitié et la solidarité qui permettent d'affronter les adversaires. Ils entourent le héros de leur bienveillance et de leur protection.

Bien sûr, le héros de Cape et d'Epée est jeune, joyeux, plutôt beau garçon, ou du moins séduisant et charmeur.

Il est rusé, intrépide, pétri de courage, toujours prêt à secourir, à prendre les risques les plus insensés, à tenter l'impossible.

Il est du côté de la justice et du Bien. Grâce à lui, les méchants sont toujours punis.

Bien que ce portrait paraisse un peu stéréotypé, il n'en est rien et tout au contraire, car les plus grands héros de cape et d'épée ont tous des personnalités assez uniques, fortes et attachantes, avec des caractères bien trempés, de l'humour et un sens de la répartie souvent délectable.

Enfin, c'est un héros qui se construit durant le récit, qui gagne en maturité ou en reconnaissance. Son parcours est jalonné d'épreuves que l'on pourrait qualifier d'initiatiques, et qui le font souvent passer de l'adolescence à l'âge adulte. L'épée n'y est pas étrangère, tant son maniement nécessite des valeurs spirituelles autant que physiques. De ce fait le héros de Cape et Epée ne peut qu'enthousiasmer aussi les jeunes qui peuvent s'identifier à un personnage dont ils se sentent proches et dans lequel ils puisent un modèle.

Il représente en général tout ce que le lecteur rêverait de faire. Des actions les plus dangereuses aux amours les plus improbables, il donne à chacun ce qui lui manque peut-être dans la vie de tous les jours, sans le mettre véritablement au défi d'y parvenir puisque la transplantation historique crée la distance nécessaire.

Le contexte historique

La période historique de prédilection des romans de Cape et d'Epée va de la fin du XVIe au début du XVIIIe siècle, soit de la naissance de Louis XIII à la mort de Louis XIV.
C'est la grande époque de la rapière et des duels, bien que ces derniers fussent interdits et fortement réprimandés.

Avec des Rois et des Cardinaux (Richelieu et Mazarin) qui ont marqué la France, une Cour truffée d'intrigues, des nobles plein de revendications face à un pouvoir royal de plus en plus absolu, cette période est une toile de fond idéale sur laquelle tisser des histoires riches en péripéties.

Et de fait, les auteurs de cape et d'épée ne s'en privent pas, d'autant que le chapitrage de leur texte en feuilletons, permet d'user de ce ressort romanesque pour faire rebondir le récit encore et encore.

L'interprétation de l'histoire est cependant souvent fantaisiste. On peut y trouver des faits authentiques comme des points de repère, des descriptions de lieux ou des détails vestimentaires exacts, mais l'histoire est un acteur, au même titre que les personnages, et les auteurs l'aménagent pour les besoins de leur récit. Le meilleur exemple en est encore les Trois Mousquetaires, dans lequel Dumas décide de faire coïncider son héros, personnage authentique, avec une époque qui n'est pas la sienne.

Les duels

Sans eux, il n'y aurait pas de roman de Cape et d'épée. Leur rôle est primordial. Ils valorisent le héros, le mettent en permanence en danger de mort et lui permettent de vaincre d'autres individus qui, bien souvent, incarnent le Mal. En les affrontant dans un combat aussi violent et intense, le héros démontre qu'il n'a pas peur de mettre sa vie en péril pour donner raison au Bien. Cette lutte manichéenne est indispensable au lecteur.

« Dans le duel, symboliquement, se trouve éliminée une force qui est très souvent celle du mal ; car si les forces du mal gagnent dans les duels, le roman de cape et d'épée manque à sa vocation idéologique. Avec le duel, on est au coeur d'une problématique d'écriture: quel est l'événement qui va permettre de rendre le rythme le plus haletant, de maintenir l'intérêt, et de produire à chaque fois un effet de surprise paradoxal - puisque l'on sait ce qui va se passer, mais on est toujours réjouit de le découvrir ? Qu'est-ce qui, en même temps, va correspondre le mieux aux impératifs de la logique narrative, et de la logique des personnages ? C'est le duel. » Gérard Gengembre

Les duels sont donc nombreux et se répètent autant de fois que le héros croise des ennemis qu'il doit combattre. Ces derniers peuvent être de meilleurs bretteurs que lui et le mettre ainsi en position de faiblesse, le poussant à user de son courage ou de sa ruse pour en venir à bout. Dans ce corps à corps, le lecteur est alors en haleine, suspendu à l'issue du combat. En règle générale, les duels doivent être suffisamment différents les uns des autres pour rester intéressants. Ils forcent les auteurs à avoir de l'inventivité et c'est ainsi que Paul Féval a créé sa « botte de Nevers » qui est devenue célèbre.

Et puis le duel a le goût de l'interdit, de l'illicite et il n'en est que plus excitant. Dans de nombreux romans, le héros doit souvent choisir des endroits cachés pour pouvoir se battre, ajoutant ainsi un autre paramètre au suspense.

Cette notion était encore très présente au moment où ces romans ont été écrits car les duels existaient toujours (illégalement) au XIXe siècle. Pour le lecteur, le duel n'était pas qu'une figure de style, un exercice adroit mais lointain. Il en ressentait la valeur et le danger avec une promiscuité qui a disparu aujourd'hui.

Par ailleurs, le maniement de l'épée reste une pratique « à la mode ». Les auteurs célèbres des romans de Cape et Epée sont eux-mêmes des bretteurs et fréquentent les salles d'armes parisiennes, alors fort nombreuses. La plus réputée est celle d'Augustin Grisier où l'on peut rencontrer Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Charles Nodier, Georges Sand ou Paul Féval qui vient, en spectateur, y prendre des idées.

Au XXe siècle, le roman de Cape et d'Epée va donner naissance au film du même nom. C'est d'ailleurs un des premiers genres que le cinéma muet adapte car tout y est bien codifié, avec le bon et le méchant, des séquences rythmées, une histoire facilement compréhensible et des duels qui font le spectacle.

Pour le cinéma en général, ce genre est un vrai cadeau. Tout y est festif et flamboyant. Mais c'est encore les duels qui remportent tous les suffrages. Dans ce domaine, les films permettent des séquences qui deviennent des morceaux d'anthologies et chacun de nous garde en mémoire un de ces duels célèbres qui a marqué son enfance. Le genre semble inépuisable et régulièrement le cinéma réinvente le Cape et Epée en imaginant des suites (La fille de d'Artagnan ou Le masque de Zorro) ou en revisitant continuellement des classiques (Les Trois Mousquetaires ou Le masque de fer).