L’esprit gascon

L'esprit Gascon

Du XVIe au XVIIIe siècle, le terme de « Gascons » avait tendance à désigner d’une manière incorrecte toutes les populations (à l’exception des Provençaux) qui parlaient une langue d’Oc.

Dans les milieux militaires, en revanche, on ne s’y trompait pas et les Gascons étaient bien les habitants de la Gascogne, réputés pour être une pépinière de soldats, réputation qui la suivra à juste titre tout au long des siècles puisque Napoléon dira, en son temps :

« Donnez-moi une armée de vrais Gascons, et je traverserai cent lieus de flammes ! ».

Mousquetaire gasconLes plus grands chefs de guerre savaient reconnaître le mérite des Gascons sur les champs de bataille et quand on les désignait, c’était toujours avec respect pour leur courage et pour leur hardiesse. Parce qu’ils savaient se comporter en guerriers téméraires, les Gascons ont fait rapidement partie de l’entourage royal, surtout quand le Roi a commencé à posséder, de manière organisée, sa propre garde. C’est avec Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, que se situe l’apogée de la Maison militaire du Roi et, par voie de conséquence, celle des Gascons.

Mais, la personnalité des Gascons n’est pas celle des habitants de la capitale. Avec leur arrivée à la suite d’Henri IV, ces hommes bruyants apportent leur truculence, et bousculent une société peu habituée à tant d’exubérance. Le fait qu’ils occupent des postes de pouvoir, proches du roi - voire même conseillers de celui-ci - leur attire aussi des jalousies et des animosités. Au XVIIe siècle, l’omniprésence des Gascons dans les sphères politique et militaire de la France est bien tangible. Ils y ont établi de vrais réseaux et c’est parmi les Mousquetaires, qu’ils sont les plus nombreux. Ces derniers n’ont pas la réputation de passer inaperçus. Lorsque la guerre ne les appelle pas sur les champs de bataille, ils investissent bruyamment Paris, content fleurette, se battent en duel, se font remarquer dans les tavernes où ils répandent leur gourmandise de la vie.

Leur accent qui chante et roule sur le pavé de Paris, leurs plaisanteries excessives, leur vantardise souvent mal interprétée en font des cibles faciles pour une société qui devient de plus en plus policée et gênée par des débordements qu’elle ne comprend pas.

Après avoir été obligée de les accepter pour ne pas déplaire aux monarques qui avaient les Gascons en sympathie, cette même société trouve du plaisir à tourner ces hommes en ridicule ; la littérature et le théâtre sont des moyens de diffusion d’un type gascon réduit à une caricature, et qui s’installe peu à peu dans l’imaginaire collectif. De plus, le caractère expansif et exagéré qui les caractérise est un trait facile à tourner en dérision

Le Gascon caricaturé

Le personnage du « gascon » apparaît – en tant que personnage comique - sur la scène et dans la littérature françaises, à partir du XVIIe siècle. Il s’y manifeste sous les traits du hâbleur et du fanfaron, digne descendant du « matamore » de la comédie espagnole ou du « capitan » de la Comedia dell’Arte italienne. Il est cependant moins excessif que ses prédécesseurs et surtout plus français. Il rencontre un vif succès auprès du public.

« A la fin du XVIIe siècle, le Gascon est ainsi devenu l’un des éléments indispensables de la comédie-farce et de la comédie d’intrigue ; parlant avec l’accent – prononciation conventionnelle, souvent notée dans le texte même : é pour e, v pour b, b pour v, u pour eu, etc. – il nécessite l’emploi d’un acteur spécialement chargé du rôle (…) Au cours du XVIIIe siècle, ses traits se précisent : faux noble, toujours vif sur le point d’honneur, personnage famélique avide d’argent, il est aussi l’homme souple et rusé, le hâbleur qui ment par surabondance d’imagination et met une sorte d’amour propre à travestir mieux qu’un autre la vérité et à ne jamais se laisser surprendre. » André Tissier

Curieusement, c’est Henri IV lui-même qui fit le premier la réputation du « gascon », tant sur la scène que dans ses plaisanteries.

« Le Béarnais y prenait même un malin plaisir. Il aimait à faire jouer à ses comédiens une pièce bouffonne avec force mimes grotesques et moults répliques tordantes ; c’était la grosse farce dite du « gentilhomme gascon ». Véronique Larcade

Mais sur ces railleries gasconnes, Henri IV, ainsi que Roquelaure, son conseiller et ami gascon, auraient pu dire comme Cyrano dans la pièce d’Edmond Rostand. 

« Je me les sers moi-même avec assez de verve, 
Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve »

S’ils appréciaient les exagérations des traits gascons mis en scène, c’était par sympathie et par complaisance envers des compatriotes dont ils connaissaient également les valeurs profondes. Leurs rires n’étaient pas moqueurs mais complices.
Comme le rappelle Véronique Larcade, les Gascons aimaient à dire : « Etre gascon, c’est avoir un mélange heureux de vertus, d’éclats et de défauts agréables et commodes. Tout plaît en nous, jusqu’aux imperfections. Ce n’est peut-être pas entièrement faux, parce que mieux que quiconque les Gascons savent et adorent monter en épingle leurs propres défauts, en jouer et, surtout, en faire rire. »

Le Gascon caricaturé

En revanche, on ne peut pas dire qu’Agrippa d’Aubigné, leur contemporain, choisit le « Gascon » dans ses Avantures du Baron de Faeneste* (1617), avec les mêmes intentions ; bien au contraire. Il brosse le portrait d’un Gascon aux antipodes de celui qu’aimait Henri IV.

« Son héros est un matamore ridicule, parangon des pires défauts de sa Gascogne natale. C’est ce qui permet de servir de faire valoir à l’autre protagoniste de ce livre : M. d’Enay, aussi saintongeais que Faeneste est gascon, aussi distingué que l’autre est un fieffé larron, aussi cultivé qu’il est ignorant et, bien sûr, aussi fin huguenot que l’autre est catholique borné. » Véronique Larcade

« C’est une satire fort piquante, impitoyable pour les travers de la Gascogne, et qui va jusqu’à l’injustice (…) A vrai dire le reproche essentiel, primordial, que d’Aubigné adresse à son héros est déjà contenu dans le nom qu’il lui a donné – nom très heureusement choisi, avec un goût de terroir suffisant, et qui n’est cependant que la transcription d’un mot grec qui veut dire paraître. L’amour de paraître, le besoin inné de paraître partout, en toutes circonstances, de quelque façon et à quelque prix que ce soit, voilà, en effet, ce qui est le fond du caractère de Faeneste, voilà le principe qu’il érige en règle de conduite. » Edouard Bourdiez

Si Agrippa d’Aubigné choisit d’opposer le gascon au saintongeais, c’est parce qu’il était saintongeais lui-même et que son service auprès d’Henri IV ne lui avait pas valu les faveurs qu’il aurait pu en attendre. Etant resté huguenot, il ne pardonna pas à Henri IV sa conversion catholique ni les faveurs données aux autres courtisans, notamment au Duc d’Epernon qui était précisément gascon.

Le Baron de Faeneste est une illustration de tout ce que le gascon peut avoir d’excessif, de pire et de désagréable. Le fiel d’Agrippa d’Aubigné transforme son personnage en caricature outrancière, allant jusqu’à des débordements flagrants de mauvaise foi, comme le rappelle Edouard Bourdiez :
«  Je vous avertis… l’ouvrage d’Agrippa d’Aubigné ne nous donne que la caricature du type gascon. Il y a là, assurément des traits piquants et certains ne manquent pas de vérité. Mais il en est beaucoup d’autres qui sont poussés à la charge et deviennent injustes. Ainsi, ce que je ne puis tout d’abord accorder à d’Aubigné, c’est cette sorte de lâcheté, de poltronnerie, qu’il a mise au fond de son héros. Non, cela n’est pas vrai. Il peut y avoir des poltrons en Gascogne, comme partout, mais ce n’est point là le vice national, et tant s’en faut. L’histoire nous le montre assez. »

Sur ce point, d’Aubigné dépasse largement son propos et s’engage sur une fausse voie car si les Gascons sont vantards et hâbleurs, ils ne sont ni lâches, ni poltrons.

Par la suite heureusement, les auteurs de théâtre qui adoptent le personnage du « gascon », ne retiennent pas cette digression malheureuse d’Aubigné et choisissent surtout de camper un personnage finalement assez proche de celui des gasconnades qui amusaient tant Henri IV.

« Longtemps, il est vrai, les gasconnades avaient respecté les traits originaux, authentiques des Gascons. Leurs bons mots, leurs réparties plaisantes et spirituelles avaient, avec le bon roi Henri, franchi les limites de la Gascogne et de la Guyenne. Le Gascon était fier, il aimait le panache, il savait par d’habiles détours, comme le dit le proverbe, se tirer d’un mauvais pas ; il avait toujours les rieurs de son côté ; il suffisait que quelqu’un se prétendit Gascon pour qu’on attendit de lui des merveilles d’esprit. » André Tissier

Dans le courant du XVIIe siècle, le Gascon apparaît aussi dans le roman comique, sous les traits du sage-fou, en jouant le anti-héros révélateur des vérités de l’époque sous les travers d’un excentrique.

Dans Le Gascon extravagant*, roman comique paru en 1637 sans nom d’auteur (attribué successivement à Louis Moreau du Bail et à Onésime de Clairville), le personnage du Gascon, qui est censé être un extravagant, est en fait un philosophe moral qui parle d’autant plus librement de tout que « tout est permis aux fous ». Il joue donc au fou et divague dans ses propos pour mieux exposer sa vision de la vie et sa liberté.

Ces personnages de « fous » que l’on dénomme plutôt « extravagants » et qui peuplent le roman français du XVIIe siècle - héritier du roman picaresque espagnol -  sont en réalité beaucoup plus rationnels et intelligents qu’ils n’y paraissent. La vraie fonction d’être extravagant, au sens étymologique du terme, est de sortir des normes établies et habituelles de la société, d’être impertinent et non-conformiste. Mieux encore, ces êtres extravagants sont en fait des sages, des hommes lucides et perspicaces, dont le discours est porteur de vérité. Le narrateur le dit ainsi de son héros :
« Comme j’entendais parler ce cavalier (le Gascon) ainsi, je demeurais quasi en extase et disais, quelle étrange métamorphose. Cet homme parle tantôt dans une extravagance, et incontinent après il a les meilleurs discours du monde : d’où peut procéder ce changement ? »
Dans ce type de roman, les valeurs sont inversées et ce qui passe pour de la sagesse est pure folie quand ce qui se présente comme de la folie est la vraie sagesse.
Le fait même que le héros soit précisément Gascon n’est pas un hasard. Il est ainsi outrancier, dans la verve du roman comique, pour se moquer encore mieux de tous ceux qui cherchent justement à contrefaire les Gascons. Mais c’est lui le vrai sage et l’homme libre.

Pourtant, peu à peu, la Gascogne jouant un rôle moins prépondérant dans les affaires de l’Etat, le personnage du « gascon » va se dégrader dans les pièces de théâtre, pour ne revêtir que les traits grossiers d’un matamore comique et à la limite du ridicule.
«  Les Gascons y perdirent leur physionomie réelle ; désormais il faut amuser à leurs dépens ; seule compte la caricature : on simplifie, on exagère, on tombe dans la loufoquerie, on tourne les qualités en ridicules et les travers en défauts ; les Gascons authentiques, les vrais Cadets de Gascogne, ne devaient guère se retrouver dans ces charges.

Malgré cette déformation, ou plutôt grâce à elle, les gasconnades connurent un succès prodigieux : il n’est pas de journal ni de recueil, à la fin du XVIIIe siècle, qui n’en ait publié quelques unes (…) l’ensemble des Gascons formait un type désormais populaire et, dans les grandes lignes, définitivement fixé ; il suffisait pour amuser d’en évoquer tel ou tel trait avec à-propos et esprit. » André Tissier

La langue et l'accent gascon

Cette propension à se référer aux Gascons et à les railler, vient aussi de leur manière de parler. Accent et mauvaise tournure sont tout ce qu’on leur reproche. Au risque de contaminer la langue française par toutes leurs expressions inconvenables.

C’est également à Henri IV que l’on doit cette vague déferlante de la langue d’Oc sur les pavés parisiens. Henri IV a d’ailleurs toujours conservé son accent béarnais dont il était fier. En attirant à la cour beaucoup de gens de Gascogne et de Navarre, les médisants qualifiaient celle-ci  de « carrefour de dialectes ».

Un siècle plus tard, ce même parler envahit la Compagnie des Mousquetaires, puisqu’elle est composée en grande majorité de Gascons qui ne cherchent aucunement à changer leur manière de s’exprimer. Tréville, Besmaux, ou d’Artagnan, par exemple, sont toujours cités, parmi les Mémorialistes de l’époque, en faisant référence à leur accent, dont ils ne se sont jamais départi. Des remarques insidieuses, des pamphlets ironiques, des plaisanteries à mots couverts, se retrouvent au fil des écrits et des témoignages. Mais les Gascons sont alors trop proches du Roi pour que l’on se permette trop ouvertement de les critiquer. Certains y trouvent même du charme, et ce jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. On trouve dans  Mélange amusant de saillies d’esprit et de traits historiques des plus frappants  de Lesage, une remarque de cet ordre. « Il est constant que les Gascons pensent et s’expriment singulièrement et d’une façon plaisante. » 

Mais l’état de grâce ne dure pas et c’est ainsi qu’en 1768, Monsieur Desgrouais écrit un docte ouvrage fort répréhensible à l’égard de ce qu’il nomme les « gasconismes » dont les Gascons doivent absolument se débarrasser pour ne plus paraître ridicules.
Le titre est sans équivoque : « Les Gasconismes corrigés* – Ouvrage utile à toutes les personnes qui veulent parler et écrire correctement, et principalement aux jeunes gens, dont l’éducation n’est point encore formée »

La langue et l’accent gascon

Voici comment débute sa préface :
« Lorsque j’arrivai à Paris, je fus extrêmement frappé des mauvaises expressions, des tours vicieux, des phrases singulières, enfin des Gasconismes que j’entendais de toutes parts dans les conversations. Je m’étonnais surtout de ce que personne, au moins à ce qu’il me semblait, ne remarquait ces fautes et n’en était aussi choqué que moi. Mais telle est la force de l’habitude, surtout en ce genre, que les gens les mieux instruits et les plus éclairés, s’y laissent entraîner au point de ne plus s’apercevoir des fautes qu’ils commettent. »
M. Desgrouais précise ensuite que son livre est destiné à rendre sa dignité aux Gascons afin qu’ils aient ainsi un outil pour les aider à parler correctement :
« Pour qu’on est une idée juste de mon travail, et qu’on ne s’attende pas à plus que je ne promets, j’avertis que je ne me propose pas de composer une grammaire, ni d’enseigner aux Gascons les beautés de la langue française ; je ne m’élève pas si haut. Je travaille moins à leur apprendre à bien parler qu’à ne pas parler mal. Un miroir ne dit pas quels ajustements il faut prendre pour plaire, mais il avertit de ce qu’il faut ôter pour ne déplaire pas. Voilà mon livre. Je veux seulement rendre les Gascons attentifs à des Gasconismes qui ne leur sont que trop familiers, et dont il est important qu’ils se corrigent, s’ils veulent éviter ses petites humiliations auxquelles les personnes qui parlent mal sont exposées, surtout à Paris, où ces expressions impropres ne manquent pas de donner lieu à des railleries dont il est toujours désagréable d’être l’objet. »

Cet ouvrage arrive à point nommé, dans une période durant laquelle les Gascons ne sont plus en odeur de sainteté. Il donne cependant lieu à un certain nombre de « droits de réponse ».

En 1771, M. Mailhol écrit Lettres aux Gascons, Sur leurs bonnes qualités, leurs défauts, leurs ridicules ; leurs plaisirs, comparés avec ceux des habitants de la capitale. Il précise dans sa préface que ces lettres sont en réponse aux Gasconismes corrigés de M. Desgrouais.

Au-delà du parler, ce livre est un véritable plaidoyer. Il tente d’expliquer le caractère gascon et de justifier tout ce qui peut le rendre incompréhensible pour les habitants de Paris.
« Les Gascons ont généralement l’esprit vif, le cœur bon, la tête chaude. Ils manquent peut-être de lumière, de goût et de cette politesse aimable, aisée, qui n’est vraiment connue et pratiquée qu’à Paris et à la Cour. »
Ou encore :
« Le Gascon, quant aux qualités de l’âme, à ses connaissances, semble tenir également du Français et de l’Espagnol ; ignorant, inquiet, souvent impoli, faute d’une éducation dont ses parents n’ont point senti le prix ; vain, présomptueux, se vantant lui-même sans en connaître le ridicule, quelquefois par naïveté, d’autres fois parce que ses compatriotes, par vanité aussi, ne lui parlent pas de son mérite ; plein d’ailleurs d’imagination, sensible, vif, entreprenant, passionné, parce qu’il n’a point appris à contraindre en lui l’effet de la nature et du sol ; enfin toujours prêt à contredire et à prendre un parti extrême contre ceux qui voudraient contrarier ses passions, ses préjugés, ou même ses idées : tel est surtout le Gascon non lettré (…)
Mais l’homme de lettres est chez nous moins imparfait (…)
Il a trouvé dans l’étude et dans les connaissances acquises, un antidote sûr contre la plupart de nos ridicules. Il lui en reste pourtant, à la grande satisfaction de la critique envieuse et de ses lecteurs, et de ses sots. »

Le mal était pourtant fait. La levée de boucliers contre les Gascons avait permis à la capitale de retrouver son calme. On riait d’eux au théâtre en contrefaisant leur accent avec délice.

Ils ont pourtant été nombreux ceux qui ont revendiqué cette belle langue ensoleillée, truculente et imagée !

En 1895, Louis Pépin écrit dans Gasconismes et choses de Gascogne :

« L’accent tient, en grande partie au milieu, au climat, à la latitude ; il tient aussi à la structure de l’appareil vocal propre à chaque race ; il est inhérent à la constitution, au caractère même de l’individu, partant, physiologiquement et psychologiquement héréditaire.
Donc, ne s’en défait point qui veut – d’une moins d’une manière complète – car il est possible assurément de l’atténuer, de l’amender à la longue, de le façonner, en un mot, par l’étude et la gymnastique appropriée, au criterium de ceux que la convention a constitué les arbitres, les régulateurs du beau parler sous toutes les formes ; nous avons nommé les Parisiens.
Et quand un Gascon bien doué a pu atteindre à ce but – nous en savons tous quelques exemples – d’aucuns vous diront, voire même au sein de la Cour souveraine, que sa nouvelle manière, bien que trahissant peut-être encore une certaine pointe de terroir, - et précisément à cause de cela – ne manque vraiment pas de piquant, ni de charme.
Quoiqu’il en soit de l’accent, fut-il poussé au pire, nous ne voyons point, sauf erreur, qu’il porte grand préjudice à rien, ni à personne. Il n’est pas donné à tous, en définitive, de « broyer les gutturales du Nord », et s’il n’y a pas d’intérêt supérieur en jeu, pourquoi ne pas laisser à chacun la liberté de jouer comme il sait de l’instrument que lui a donné la nature ? »

La réhabilitation du Gascon

C’est ainsi qu’on entre dans le XIXe siècle avec une image assez confuse du Gascon, dans laquelle s’entrecroisent pêle-mêle des défauts et des qualités que peu de gens savent trier.

Georges Sand écrit dans Mémoires de ma vie : « Les gascons, gens excellents et bien calomniés (…) et Balzac relève dans son ouvrage Du notaire et de l’avoué : « Il y a certaines classes de la société que le sort a dévolu aux rieurs. On y a rangé les médecins, les notaires, les procureurs, les huissiers, les Normands et les Gascons. »

C’est heureusement Alexandre Dumas qui les réhabilite, tant avec ses Trois Mousquetaires qu’avec ses autres romans, dans lesquels il leur permet de retrouver leur vraie personnalité. Hâbleurs, certes, vantards et fanfarons aussi, mais courageux, fidèles, téméraires, braves et joyeux.

Si son personnage de D’Artagnan en est la meilleure incarnation, il ne manque jamais de rappeler le caractère des Gascons envers lesquels il témoigne une vraie sympathie, autant pour leurs mauvaises habitudes que pour leur loyauté. 
Toute son œuvre est ainsi truffée de références aux Gascons, amusées et taquines, mais jamais railleuses ou ridicules, telles, par exemple :

• Olympe de Clèves - Chapitre XXI -

- Si vous saviez la charmante perle qu'il m'avait vendue ce soir, et en vérité pour rien !
- Ah ! voyons, monsieur l'abbé ! dit Olympe avec cet empressement enfantin que les femmes ont pour les bijoux.
- Je ne l'ai plus, dit l'abbé.
- Et qu'en avez-vous fait ? demanda Bannière. Cela peut-il se dire au moins devant une dame? 
- Eh ! mon Dieu ! dit l'abbé du ton le plus simple, je crois que je l'avais liée à l'un de ces bouquets, et il est bien probable qu'elle doit être quelque part, là, en bas, dans les ruisseaux. L'abbé disait tout cela avec son même sourire charmant.
- Monsieur l’abbé est Gascon ou millionnaire, fit Olympe.
- L'un et l'autre, répliqua tranquillement l'abbé.

La réhabilitation du Gascon

• La Reine MargotEpilogue

- Oh ! dit Henri, je ne dis pas cela pour les sottises présentes, je dis cela pour les sottises passées et à venir. Mais ne discutons pas là-dessus, nous n'avons pas de temps à perdre.
- Vous partez donc toujours ?
- Cette nuit.
- Les affaires pour lesquelles vous étiez revenu à Paris sont donc terminées ?
- Je n'y suis revenu que pour vous.
- Gascon !
- Ventre-saint-Gris ! ma mie, je dis la vérité ;

• Vingt ans aprèsChapitre XXX

  1. Ah çà ! a continué le Cardinal, je vous croyais Gascon, mon cher ?
  2. Je ne suis Gascon que quand je réussis, Monseigneur.

La réponse lui a plu, car il s’est mis à rire.

• Vingt ans après 

Le cardinal sourit.
- Des cadets, dit-il, qui s'étaient engagés aux mousquetaires sous de faux noms pour ne pas compromettre leurs noms de famille. Longues rapières, mais bourses légères ; on connaît cela. 
- Si Dieu veut que ces rapières-là passent au service de Votre Éminence, dit d'Artagnan, j'ose exprimer un désir, c'est que ce soit à son tour la bourse de Monseigneur qui devienne légère et la leur qui devienne lourde ; car avec ces trois hommes et moi, Votre Éminence remuera toute la France et même toute l'Europe, si cela lui convient. 
- Ces Gascons, dit Mazarin en riant, valent presque les Italiens pour la bravade. 
- En tout cas, dit d'Artagnan avec un sourire pareil à celui du cardinal, ils valent mieux pour l'estocade. »

• Les Trois Mousquetaires – Chapitre XXI

  1. Nous disons, nous « Fier comme un Ecossais » murmura Buckingham.
  2. Et nous disons, nous « Fier comme un Gascon » répondit d’Artagnan. « Les Gascons sont les Écossais de la France. »

Grâce notamment à Alexandre Dumas, le Gascon fait son retour dans la littérature française avec un rôle qui lui sied nettement mieux que celui du capitan bouffon. Il entre par la grande porte dans ces nouveaux romans dit de « Cape et d’Épée » qui investissent les imaginations françaises. Il en devient même le héros. De d’Artagnan au Capitaine Fracasse, le cadet de Gascogne reprend ses titres de noble de province, pauvre sans doute, mais plein de fougue, d’audace, d’esprit de conquête et d’aventure. Après avoir fait rire, le Gascon fait rêver.

Le « vrai » caractère Gascon

Quelle est donc la part de vérité dans ce que la littérature ou l’imagerie populaire nous ont légué ?

Édouard Bourdiez donne sa propre réponse qui contient certainement la vérité : 
« Vous savez que de ce caractère gascon, on a dit beaucoup de mal, et on a dit beaucoup de bien ; c’est qu’il y avait apparemment l’un et l’autre à en dire. »

D’un côté, parce qu’il a été si largement popularisé sous des traits outranciers, il reste un fond de caricature quand on parle du Gascon dans l’imaginaire collectif. Dés que l’on se réfère à une promesse non tenue, n’invoque-t-on pas une « parole de Gascon » ? Plus sournoisement encore, ne qualifie-t-on pas les mensonges de « cracs », sans savoir nécessairement qu’on se réfère ainsi à M. de Crac en son castel, cette  pièce populaire du XVIIe siècle.

Il faut dire que les dictionnaires officiels - celui de l’Académie Française de 1798 ou de Furetière de 1690 – n’ont rien fait pour atténuer le trait.
Pour le premier à Gascon, on lit :
« On ne le met point ici comme un nom de Nation, mais parce qu’on s’en sert quelquefois pour signifier un fanfaron, un hâbleur. Il se vante de telle et telle chose, mais c’est un Gascon ! »
Et pour le second, on trouve :
« Fanfaron, hâbleur, querelleur. Cet homme se vante de bien des bravoures, mais c’est un Gascon, il hâble. »

Le « vrai » caractère Gascon

Puis on trouve tous les avatars du Gascon, tels :

Furetière 1690:
• Gasconnade : « Vanterie de quelque chose peu vraisemblable. Il dit qu’il s’est battu lui seul contre trois hommes, c’est une gasconnade, une fanfaronnade. On le dit quelquefois d’une escroquerie. »
Gasconisme : Façon de parler introduite par les Gascons, qui vient de Gascogne.
Gasconner : Voler adroitement. J’avais une médaille sur ma table, quelqu’un qui est entré l’a gasconnée.

Dictionnaire de l’Académie 1798 :
• Gasconnade : « Fanfaronnade, vanterie outrée. Cet homme se vante d’avoir été à trente combats, mais ce sont des gasconnades. Il se vante d’être fort riche, mais c’est une gasconnade, une pure gasconnade. Dire, faire des Gasconnades. Il dit qu’il se battrait contre dix hommes, c’est une gasconnade. »
• Gasconisme : Construction vicieuse dans la langue, et qui est tirée de la manière de parler des Gascons. Cela n’est pas français, c’est un gasconisme.
• Gasconner : Dire des Gasconnades. Il est populaire et familier.

On notera que l’on ne gasconne pas de la même manière à l’Académie et chez Furetière, et que, chez ce dernier, les Gascons sont presque assimilés à des voleurs, en plus d’être des fanfarons !
Si ces trois derniers termes ont à présent disparu du dictionnaire de l’Académie française, on trouve toujours, pour Gascon, l’assimilation avec fanfaron.
Est ce bien exact ? Oui, d’une certaine manière, pour peu qu’on sache le replacer dans son contexte.
La fanfaronnade gasconne n’est pas un leurre mais une réalité, mais elle n’est que la partie émergée d’un caractère profondément original qui mérite d’être compris avant d’être critiqué. Edouard Bourdiez l’a étudié dans un très pétulant article paru en 1893 dans le Bulletin Officiel de la ville de Bordeaux, qu’il a intitulé L’Esprit gascon . En retrouvant les traits exagérés qu’Aubigné avait attribués à son Baron de Faeneste, il explique la fanfaronnade des Gascons de la manière suivante :
« Le besoin de paraître en tout et partout (…) suppose une vanité instinctive. Et puisque nous cherchons ici la vérité, quelle qu’elle soit, il ne faut pas nier qu’on en trouve une bonne dose au fond du caractère gascon. J’irai même plus loin : j’ajouterai qu’assez ordinairement cette absence de modestie se traduit à l’extérieur par une sorte de jactance et d’emphase (…) « Voulez-vous qu’on croit du bien de vous, dites-en ! » Voilà certes un conseil que les Gascons ne se sont pas fait faute de mettre en pratique, et cela depuis fort longtemps (…) Le Gascon se pique de beaucoup de choses. Ce n’est pas sa faute. Cela lui est naturel, et aussi- point essentiel- il le fait avec une certaine grâce et beaucoup de belle humeur, ce qui est, à tout prendre, une grande excuse. Il est né loquace. Il y a chez lui une certaine verve exubérante, qui peut, lorsqu’elle a été un peu cultivée par l’art et par la volonté, devenir de l’éloquence.

Dans l’ouvrage sur Les Français par eux-mêmes, on peut lire un aveu de Gascon sur ce point :
« (Le Gascon doit sa renommée à) sa vanité proverbiale, à ses ridicules, à son caractère qui l’a illustré dans la comédie ; ce caractère, chacun l’explique, c’est l’apparence sans la réalité, l’effet sans la cause, la forme sans le fond, le paraître sans l’être, comme dit d’Aubigné qui s’est donné la peine de faire un livre entier là-dessus ; (…)
Il faut donc l’avouer, le Gascon est vain, bravache, hâbleur présomptueux : il est trop honnête au fond pour s’en défendre. Il a le sang chaud, l’imagination prompte, les passions fortes, les organes souples ; il sent, il pense vivement, il parle comme il pense, et j’allais le dire déjà, il agit comme il parle. Un instinct délicat du bon et du beau, une émulation excessivement chatouilleuse, des prétentions turbulentes, une vivacité inquiète, l’agitent, le pressent, le piquent de paraître, et l’emportent sans cesse en avant, sans trop songer si la force secondera le courage, si le fait suivra la parole. Que l’on voit là des défauts, ce sont du moins des défauts naturels ; mais c’est aussi ce qui fait les héros. Cette fièvre ne s’allume point en des âmes communes ; ce langage hardi est le prélude accoutumé des grands caractères, cet enthousiasme qui s’élève aux plus grands desseins est le même qui descend aux plus grands effets ; l’esprit qui peut concevoir est digne d’exécuter, quand la tête parle le bras est près d’agir. » Edouard Oubliac.

Il est certain que la fanfaronnade gasconne n’est pas banale car elle contient un vrai potentiel à enflammer les âmes et à galvaniser ; soi-même tout autant que les autres. Sur ce point, Edouard Oubliac soutient c’est même la raison pour laquelle les Gascons ont été de si vaillants soldats :
« A quoi le Gascon n’est-il pas engagé par la réputation qu’il s’est faite ? Comment justifier cette valeur dont il se vante ? Comment l’orgueil l’abandonnerait-il au moment d’agir ? Comment présumer qu’il s’expose à de grossières inconséquences ? où ne peut le pousser la haute opinion qu’il a de lui-même et qu’il communique aux autres ? Jetez-le tout à coup dans une mêlée, lui si prompt, si bouillant, si sensible à la gloire ; qu’on le défie, qu’on le regarde surtout, qu’on achève de l’éblouir : que ne fera-t-il point pour soutenir sa fanfaronnade ? qui le connaîtrait assez peu pour douter de lui ? et quels exploits ne se sont faits ainsi ? Léonidas n’arrête les Perses que parce qu’il s’y est engagé ; Condé, qui franchit le premier les lignes de Fribourg, ne l’eût point fait s’il ne l’eût dit. La présomption, dirait-on volontiers, est la clef de tous les hauts faits : les tournois, les prouesses de la chevalerie n’ont guère d’autre mobile ; il n’est point en particulier de duels, de témérités, d’entreprises hardies, de gageures folles, qui n’aient eu pour cause cet enivrement subit consacré par une promesse inconsidérée. »

Certes ! Pour tous ces Gascons qui se battirent avec tant de fougue qu’ils devinrent la terreur de leurs adversaires et que certains qualifièrent de « fous furieux », il fallait de la rage au cœur et la certitude de gagner. Quand on pense aux distances qu’ils ont parcouru et aux combats qu’ils ont gagnés, ces Croisés, ces Chevaliers de Malte, ces Capitaines durant les Guerres d’Italie, ces Mousquetaires de Louis XIV, on ne peut que s’incliner devant le moral inébranlable qui les caractérisaient et la fierté de combattre qui les rendaient invincibles. Bien sûr qu’ils étaient vantards, mais comme le souligne Edouard Oubliac, il fallait avoir une bonne dose de confiance en soi, pour pouvoir affronter ainsi l’adversité. Qu’on leur pardonne donc ces fanfaronnades dont la France a tant profité en gagnant les batailles dans lesquelles ils étaient engagés.

Quant à leur accent et leur parler imagé qui ont peut-être un peu dérangé l’ordre établi de la langue française, comment peut-on leur en tenir rigueur ?

Léonce Couture le résume fort bien de la manière suivante, lors de son discours du 35 juin 1882 intitulé  Le Génie Gascon :
« Je ne puis m’empêcher de reconnaître précisément les qualités des compatriotes de Henri IV dans les traits qui caractérisent cet art éminemment français, où le dix septième siècle excella, et que les esprits chagrins disent aujourd’hui perdu, l’art de la conversation : la spontanéité, l’animation, la facilité à courir sur les objets non sans les toucher au vrai point, mais sans peser ; le bon mot imprévu, qui sauve au besoin d’un pas difficile ; l’originalité des idées et des expressions, qui fait passer avec le même bonheur le blâme et l’éloge, enlevant à l’un toute amertume, à l’autre toute fadeur ; la raison spirituelle enfin, la raison assaisonnée de gaieté et même de pointes, de ces pointes qui, selon le mot du Comte de Maistre piquent comme l’aiguille, pour faire passer le fil . ce qui me confirme dans cette opinion, c’est que le dix-septième siècle et la cour du grand roi regardèrent comme le type du parfait courtisan, du causeur exquis, notre compatriote le Maréchal de Gramont, ainsi que son frère le Chevalier ; par malheur la mesure et la règle manquèrent parfois à leurs vives saillies autant qu’à leurs conduites, et ils ne ressemblèrent pas assez à leur sœur, l’aimable Comtesse d’Hamilton à qui son mari accorde cette inappréciable louange qu’elle disait ce qu’il fallait et pas davantage. »

Et il est vrai que le Gascon est excessif en tout.  
En paroles et en vantardise, pour donner ainsi raison aux esprits chagrins ; mais aussi en hardiesse, en courage et en panache, pour donner de l’inspiration aux soldats, aux monarques, aux écrivains, aux metteurs en scène et à tous ceux qui se croient Gascons, l’espace d’un roman, d’un film, d’une pièce de théâtre.

Mais, « N’est pas Gascon qui veut » et c’est là que réside leur charme !!!