La Gascogne, pépinière de soldats

La Gascogne, pépinière de soldats

Gascogne et Gascons sont intimement liés.
Le terroir, la particularité géographie et frontalière du territoire et l’histoire qui s’y est déroulée ont favorisé l’émergence du gascon. Si chaque pays et chaque région portent en eux les particularismes de ses habitants, on peut dire que la Gascogne a donné un terreau particulièrement fertile pour que naisse et s’épanouisse le soldat.
Les conditions se sont réunies au fil du temps et ont toutes concouru pour créer cet homme courageux, terrible, infatigable et un peu forcené que les guerres et les causes difficiles ont irrésistiblement attiré.

À l'origine, des Celtibères loyaux et courageux

Quand les Romains conquirent la Narbonnaise, ils se trouvèrent en contact, au-delà de Toulouse, vers la Gimone, avec un peuple nouveau pour eux qui ne ressemblait ni aux Ligures, ni aux Celtes. Ils l’appelèrent Aquitain.(…)
Par la race, la langue et les mœurs, les Aquitains étaient complètement différents

Les Aquitains, (…) se disaient originaires d’un autre pays et descendus d’un peuple différent de celui que reconnaissaient pour auteurs de leur race les Gals (les Gaulois) et les Celtes.
Strabon observe d’ailleurs (livre IV) qu’ils ne ressemblent en rien aux Gals leurs voisins ; mais qu’à leurs traits, à leur taille, à leurs mœurs, à leur langage, on les prendrait plutôt pour des Ibères (…) 
Du reste, rien n’est plus opposé que les mœurs des Gals et des Ibères : ceux-ci graves, sérieux, recueillis, presque taciturnes ; ceux-là gais, légers, insatiablement avides et curieux, parleurs, terribles et infatigables, se riant de leur parole et de leur foi : à eux le courage de l’attaque, comme aux premiers celui de la résistance.

Les deux peuples étaient trop voisins pour ne pas se rencontrer, et avec des caractères si différents, la lutte était inévitable, et avec la lutte devait naître souvent la guerre. Une d’elles surtout fut longue et terrible. A la fin, les deux races, affaiblies et fatiguées, se rapprochèrent et s’unirent.
De ce mélange, disent les historiens, sortit la nation Celtibérienne, mixte de nom comme d’origine, mais dans laquelle le sang ibérien prédomina.(…)

Voici comment les anciens auteurs nous peignent les Celtibères :

Amis des combats comme tous les peuples éloignés de la civilisation, ils souriaient au bruit des armes ; mais pleins de confiance en leur valeur, ils auraient rougi de devoir leur triomphe à la ruse ; il leur fallait un combat loyal, où le courage seul obtient la victoire.
Mourir sur un champ de bataille était la destinée qu’ambitionnait tout guerrier. Honte ou pitié s’attachait à la mort naturelle.

(…) Bons et hospitaliers pour l’étranger, le suppliant ou le malheureux, à l’exemple des Gals, ils se montraient féroces et implacables envers leur ennemi ; mais différents des Gals qui marchaient au combat avec le premier fer que saisissait leur bras, le Celtibérien éprouvait longtemps la trempe et la bonté de ses armes.

Une institution qui lui est particulière et qui est étrangère aux Gaulois est celle des Solduriens (des cavaliers) ; on nommait ainsi des soldats qui se vouaient à un chef, partageaient à jamais sa destinée, ou plutôt s’identifiaient tellement avec lui qu’il n’est pas d’exemple qu’un seul lui ait jamais survécu.
Dès que le chef succombait, on les voyait chercher dans la mêlée une mort glorieuse, et s’ils ne pouvaient l’y trouver, ils revenaient se percer sur le corps de celui qui eut leur foi. Le nombre de braves attachés à un seul chef était limité.

Histoire de la Gascogne depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours
Par l’Abbé J.J. Monlezun - T.1 - Auch -  1846

L'apparition des Vascons et de la Gascogne

C'est, tout à coup, à la fin du VIe siècle, sous la plume d'un évêque de Tours appliqué à rédiger les dix livres latins d'une " histoire des Francs " que les Gascons et la Gascogne font une entrée sur la scène de l'histoire de France. Le pays, Gascogne, qu'il faut reconnaître sous un nom, un habit d'arlequin, " Wasconia ", sort le premier de l'inconnu en 581, pour désigner une région redoutable où un duc franc déjà expérimenté, perdit son armée. Les hommes se présentent ensuite en 587, Gascons revêtus des mêmes couleurs que leur pays : " Wascones " farouchement guerriers et bien organisés.

Le nom des Gascons, soudainement apparu dans ces textes, accolé au terme " bondissants, jaillissants " est immédiatement perçu comme désignant un peuple dévastateur, redoutable, ennemi de l'ordre, ennemi des Francs. Ce sont des guerriers que doivent craindre les meilleurs des généraux...
Les Gascons (VIe - VIIe - VIIIe siècle) par Renée Mussot-Goulard - Atlantico 2001

La principale originalité de la Gascogne est, peut-être, la difficulté qu’il y a à la définir. Son nom, Vasconia, attesté pour la première fois en 602, lui vient des Vascons originaires des montagnes cantabriques, qui l’envahirent à la fin du VIe siècle. Pourtant, avant même cet événement, le pays entre Garonne et Pyrénées avait bien un particularisme ethnique, puisque l’ordre romain l’avait reconnu en détachant de l’Aquitaine, la province de Novempopulanie. Les onze cités gallo-romaines d’Eauze, Bazas, Dax, Lectoure, St Bertrand de Cominges, St Lizier, Lascar, Aire, Oloron, Auch et Tarbes, devenues sièges épiscopaux, ont donc formé le premier cadre de ce pays : l’apport gascon se surajoutant à un solide peuplement indigène y a créé les conditions initiales d’une histoire longtemps en marge et d’une forte originalité linguistique
Encyclopaedia Universalis.

Il y eut un temps unique qui fut précisément celui où naquit le nom de Gascogne pour désigner sinon un état au sens actuel du terme, du moins une principauté territoriale de relative importance au sein du royaume de France, avec ses princes, ses terres, son peuple. La Gascogne fut donc bien une réalité historique, siège d’un gouvernement autonome tenu par ses comtes, marquis puis ducs héréditaires, avec ses coutumes, ses croyances, son organisation et sa société bien vivante. Née au VIIe siècle, elle vécut pleinement jusqu’au XIIe siècle qui la vit entrer dans les possessions de la famille d’Aquitaine, ce qui constitua l’amorce de son déclin et de son morcellement intérieur. Cinq siècles d’histoire ont forgé son identité et ont établi un nom qui, malgré tout, fut sauvé de l’oubli. Ce sont les siècles fondamentaux de son histoire et ils sont liés à la référence du peuple des Gascons.
Histoire de la Gascogne de Renée Mussot-Goulard- PUF - 1996 -

L’origine des Gascons a été, et reste encore, vivement controversée. Certains les disent fils des anciens Cantabres, célèbres chez les Romains par leur courage et leur indomptable résistance. D’autres ne voient en eux qu’une tribu étrangère, jadis soumise par les Romains, dont elle a adopté les mœurs et la langue. Plus largement admise, une troisième thèse voit dans les Gascons de vrais Ibères, semblables à ceux qui jadis, avaient peuplé la plaine jusqu’à la Garonne. Retranchés dans la chaîne des Pyrénées ou sur leur versant espagnol, isolés des autres nations, ils auraient jalousement maintenu leur indépendance et la pureté de leur race. Chaque grande migration germanique déferlant sur la péninsule les aurait vu s’effacer un instant pour reparaître dès la tourmente passée. Mariant habilement diplomatie et résistance, ils auraient ainsi posé les bases séculaires et caractéristiques de l’esprit gascon.
Histoire de la Guyenne et de la Gascogne de Jean Castarède
– ed. France-Empire

De la Gascogne au tempérament Gascon !

Dire que la Gascogne a fait les Gascons serait trop simple pour être vrai. 
Pourtant, c’est bel et bien dans l’entrelacs épais et embrouillé de tout ce qui lie ce coin de terre et la société qui l’habite que se trouve le ressort de mœurs et de mentalités devenues proverbiales (…)
Il n’y a point de bornes aux rêves et à l’ambition des Gascons, pas plus que la Gascogne n’a de limites ou si peu… Les historiens le disputent aux géographes quand il s’agit de fixer les marges d’une province que la faconde de ses natifs autant que leur propension à la bougeotte étendraient sans peine à une bonne partie du royaume, sinon du monde. (…)
On entendrait plutôt, parlant de la Gascogne, sa partie orientale, celle des Pays d’Armagnac dont les principaux ont noms : Bas-Armagnac, Haut Armagnac (qu’on appelle aussi Fezensac réduit), Astarac, Fezensaguet, Magnoac et Pardiac. En somme, il s’agit d’un ensemble à figure de polygone dont les sommets pourraient correspondre à l’ouest à Aire-sur-Adour, au nord à Nérac, à l’est à la forêt de Bouconne et que sud à Montréjeauet à Tarbes. (…) 
La plus belle gasconnade ne serait-elle pas de voir dans la morphologie de la Gascogne la propre main du créateur – et la droite qui plus est ? (…)

En appuyant un peu plus fort à l’est dans son effort , cette dextre surhumaine fit dégorger l’eau et modela les vallons où coulent les rivières avec chacun un beau raidillon au levant et une pente  douce vers le couchant. 
Peut-être aussi ce moulage de la boue primordiale traçait-il, pour les siècles des siècles, moins une direction qu’un faisceau d’axes presque parallèles, orientés du midi au septentrion, que les Gascons, depuis la nuit des temps, ont parcouru et parcouru encore, de la Montagne Pyrénée au Fleuve Garonne comme en sens inverse du bout de la plaine aux dernières cîmes. Ils y ont gagné des mollets solides et des jarrets d’acier. Au temps où la force des armées reposait sur l’endurance et la vélocité des fantassins, ils ne traînaient guère la patte. 
Les Cadets de Gascogne de Véronique Larcade.- Empreinte – 2000 -

La terre de GASCOGNE (…) n’a pas été sans influence sur la formation du caractère Gascon.
« L’histoire et le milieu ont rendu les Gascons belliqueux et pratiques, chercheurs d’aventures et assoiffés de Gloire » 
Barrau- Dihigo

Quand le sol natal est d’une fécondité médiocre, il faut bien aller vivre ailleurs, se faire une place dans le monde à force de ruse, de diplomatie ou de coups d’épée ; il est nécessaire de savoir s’adapter à tous les milieux et de se pousser par tous les moyens. Qu’il s’agisse de difficultés à vaincre ou de sympathies à gagner, le GASCON est dans son élément. Habitué à compter sur lui, obligé de trouver des ressources que son pays ne lui fournit pas, il s’ingénie et finit par réussir.
Histoire de la Gascogne - de Louis Puech -  Auch - 1914 – Société Archéologique du Gers -

Les Gascons... graines de soldats

Messieurs, comme il se voit de certaines contrées qui produisent aucuns fruits en abondance, lesquels viennent rarement ailleurs, il semble aussi que votre Gascogne porte ordinairement un nombre infini de grands et valeureux capitaines, comme un fruit qui lui est propre et naturel: et que les autres provinces, en comparaison d'elle, en demeurent comme stériles... C'est votre Gascogne, Messieurs, qui est un magasin de soldats, la pépinière des armées, le fleur et le choix de la plus belliqueuse noblesses de terre...
Préface de Flomirond de Raymond à la première édition des Commentaires de Blaise de Monluc.

Ces Français Gascons paraissent de vrais instruments envoyés de Dieu pour faire la guerre.
Le Pape Paul III (Alexandre Farnèse), lors des Guerres d’Italie.

Toutes nos histoires sont pleines de leurs prouesses et de leurs faits, et je ne puis trouver rencontre, escarmouche ou bataille, siège, assaut, défense ou prise de ville que je n’y remarque que les Gascons s’y soient signalés. 
François de Pavie, Baron de Fourquevaux dans La vie des plus grands Capitaines Français - 1643.

A la fin du XVIe siècle, dans toute l’Europe, jusqu’au fond des plaines de la Pologne, lorsqu’on voulait désigner ce qu’il y a avait de plus brave parmi les troupes de France, la fleur de l’armée, on employait communément et sans distinction ce seul mot : les Gascons.
Brantôme.

Que de noms Gascons nous retrouvons parmi les plus braves et les plus fidèles défenseurs de la couronne de France, depuis l'époque où le Comte d'Armagnac et le Sire d'Albret se réunissaient pour déchirer le traité de Brétigny qui les livrait à l'Angleterre et pour rester, malgré tout, les vassaux du roi de France ! Ce sera l'éternel honneur de l'Armagnac, pour ne rappeler qu'un fait, d'avoir donné son nom au parti national qui, d'abord écrasé à Azincourt et dans Paris, mais toujours plein de courage et de dévouement, devait finir par triompher sous la bannière de Jeanne d'Arc, avec les Barbazan, les Pardiac, les La Hire, les Saintrailles, et tant d'autres héros moins connus ou injustement oubliés....
Les Gascons en Italie par Paul Durrieu - Auch - 1885

Avant de boire à nos grands morts, je veux évoquer devant vous le rapide souvenir d'une époque éloignée, qui vit la France du Nord conquise par le Midi: non plus cette fois par votre Midi, Messieurs les Nimois et les Toulousains, mais par le nôtre, par celui des Gascons et des Béarnais. Conquête moins littéraire peut-être, mais batailleuse en diable. Est-ce que le cri de guerre du XVIe siècle n'est pas : Béarn et Gascogne ? (...)
En ce temps-là, il ne se donnait pas un bon coup d'épée en France qui ne fut accentué par un retentissant Diou biban ! et lorsque dans les parties du pré Saint-Gervais l'un des tenants rougissait l'herbe verte, le vainqueur, en essuyant sa lame espagnole à son pourpoint de buffle, mâchonnait sous sa moustache en croc un : San Sébé cap de Gascougno !
Propos Gascons de Xavier de Cardaillac - Paris - Hachette - 1899 -

En fait, depuis la seconde moitié du XIIIe siècle, au moins, on ne réunit pas d'armée en France qui ne compte des compagnies entières de gens de pied originaires de Gascogne. Aux vrais Gascons, s'ajoutent d'ailleurs de faux Gascons car leur réputation aux armées est telle que pour se faire valoir au bivouac, on imite leurs manières et on prend leur accent, en ponctuant ses phrases de " Cap de Diou ".

(…) les Gascons demeurent en force parmi les troupes. A côté des petits gentilshommes, l'armée royale assure la promotion de vaillants roturiers. Gassion, maréchal de France et Tréville, tous deux fils de marchands d'Oloron, en sont l'illustration. Les apprentis guerriers gascons trouvent, dans le régiment des Gardes françaises notamment, une authentique école militaire dont ils ont l'usage presque exclusif. Au début au moins, sur dix compagnies, huit sont commandées par des capitaines gascons. De même, au fur et à mesure que se mettent en place les régiments, comme unité qui compte dans l'armée, ceux-ci portent, le nom de leur titulaire, et le plus souvent celui d'une maison gasconne. Sous le règne de Louis XIII, la formation de la Compagnie des Mousquetaires du roi constitue, également, un nouveau pôle d'attraction pour les jeunes gentilshommes désireux d'apprendre, dans cette troupe d'élite, à la fois le métier de soldat et les devoirs de l'homme de cour.
Ainsi, on peut légitimement soutenir qu'il existe une sorte de mafia gasconne qui confisque largement les gouvernements ou les lieutenances dans les provinces, les commandements militaires comme les charges de cour ou les offices royaux.
Les Capitaines Gascons à l'époque des guerres de religion de Véronique Larcade - Christian 1999 -

Les maîtres de l'estocade

Le cardinal sourit.
- Des cadets, dit-il, qui s'étaient engagés aux mousquetaires sous de faux noms pour ne pas compromettre leurs noms de famille. Longues rapières, mais bourses légères ; on connaît cela.
- Si Dieu veut que ces rapières-là passent au service de Votre Eminence, dit d'Artagnan, j'ose exprimer un désir, c'est que ce soit à son tour la bourse de Monseigneur qui devienne légère et la leur qui devienne lourde ; car avec ces trois hommes et moi, Votre Eminence remuera toute la France et même toute l'Europe, si cela lui convient. 
- Ces Gascons, dit Mazarin en riant, valent presque les Italiens pour la bravade.
- En tout cas, dit d'Artagnan avec un sourire pareil à celui du cardinal, ils valent mieux pour l'estocade.
Vingt ans après d’Alexandre Dumas - Chapitre V-
 

Ainsi, avant que d’Artagnan ne devienne à son tour mousquetaire, d’autres gascons avaient tracé, avec leurs exploits, le chemin vers les champs de bataille. Nul n’ignorait cet héritage guerrier. Le gascon, comme le dit Alexandre Dumas, savait porter l’estocade mieux que quiconque.
Mais qui se souvient de toutes ces destinées hors du commun ?
Aux côtés d’Henri IV ou du Duc d’Epernon, il existe d’autres gascons, célèbres en leur temps, qui ont joué un rôle déterminant aux premières loges de la grande histoire, mais qui ont été emportés dans le sillage de ceux qu’ils ont servis. 
Connaîtrait-on d’Artagnan aujourd’hui si Dumas ne s’y était intéressé ? Probablement pas.
Tout comme on ignore qui était Mathurin Romegas ou Jean d’Antras.
Mais ces gascons étaient roublards. Ils ne se sont pas laissés totalement effacer des mémoires. Ils ont semé des indices ou des témoignages qui nous permettent de les retrouver et de les redécouvrir. Tel le chevalier La Hire, fidèle de Jeanne d’Arc, qui s’est fait une place peu commune dans les jeux de carte en devenant le valet de cœur. Un clin d’œil pour nous permettre d’ouvrir la machine à remonter le temps.